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onze heures du soir. La nuit profonde, l’épuisement des hommes avaient pu seuls l’interrompre, et, comme l’écrivit plus tard Grouchy à Napoléon, « on n’entendait plus le canon de votre majesté. »

La nuit s’acheva dans cette attente sans apporter aucune nouvelle certaine de la bataille. Personne ne doutait dans le corps français que Napoléon ne l’eût gagnée. Au contraire le général Thielmann avait reçu une première indication vague encore de ce qui s’était passé à Waterloo, et sur cette rumeur il pensait que Grouchy se hâterait de faire retraite. C’est ce qui décida Thielmann à prendre audacieusement l’initiative à l’aube du jour, le 19, lorsque Grouchy et Vandamme étaient encore séparés par la Dyle. Les Prussiens s’avancèrent avec la confiance exaltée que leur donnait la première renommée de Waterloo ; ils poussaient des hourras. Les Français, qui croyaient achever la victoire de Napoléon, marchèrent avec la même assurance, en sorte que les deux armées prirent en même temps l’offensive.

Grouchy avait sa première ligne formée de la division Teste et de deux divisions de Gérard, la troisième en réserve. Il occupait le plateau de Limale, la gauche en face du bois de Rixensart, la droite en face de Bierge ; la cavalerie de Pajol, à l’extrême gauche, menaçait de tourner la droite des Prussiens : ils cédèrent, et les nôtres s’emparèrent du bois ; mais cet échec de l’ennemi fut bien vite compensé, car à huit heures le général Thielmann reçut la nouvelle authentique de la victoire de Waterloo, et que le corps de Pirch avait été envoyé pour couper la retraite à Grouchy sur la Sambre. Dès lors la tâche des ennemis était facile : soit qu’ils parvinssent à retenir Grouchy devant Wavre, soit qu’ils l’entraînassent à les suivre dans leur retraite, celui-ci semblait perdu dans tous les cas. On vit alors, pour la première fois peut-être, deux armées aux prises soutenues, l’une par la certitude absolue de la victoire, l’autre seulement par une vague et tenace espérance, et c’est celle qui n’avait que l’espérance qui l’emporta. Les nôtres reprennent le bois de Rixensart. Sur la droite, à neuf heures, la division Teste s’empare du village et du pont de Bierge. Le corps de Vandamme débouche, les Prussiens sont délogés de Wavre. Thielmann se retire en plusieurs colonnes par Ottembourg à Saint-Achtenrode ; la cavalerie française les suit. Tout le corps de Grouchy est dans la joie. Et comment croire en effet qu’en suivant sa victoire il ne fît qu’avancer dans un gouffre ? La perte des Prussiens a été de 2,476 hommes ; on ignore la nôtre. Aucun rapport ne l’a constatée, soit précipitation, soit que la perte de quelques milliers d’hommes ait été négligée, comme insignifiante, dès que l’on connut le désastre de la veille.

Il était onze heures du matin. Grouchy, en pleine victoire, avait