sans délibérer davantage, car l’occasion menace de disparaître bientôt. Cet avis est soutenu par Lucien : il se souvient d’avoir présidé les cinq-cents ; il s’offre pour recommencer son œuvre. N’avait-il pas réussi une fois ? Selon lui, la chose est plus facile qu’on ne pense. Il s’agit seulement d’oser ; c’est à l’empereur de sauver sa couronne avant qu’on ne vienne la reprendre.
Au milieu de ces conseils emportés, on a vu Napoléon, incertain, n’oser faire usage de son droit et laisser échapper l’occasion. Plus que tous les autres, il se sent condamné par la force des choses, car il ne se retrouve pas lui-même. Nulle résolution, nul parti arrêté ; ne sachant s’il faut garder ou quitter le pouvoir, espérant qu’on lui offrira cette autorité suprême dont il n’ose se saisir : de là une attente vague, stérile, qui ne profite qu’à ses ennemis ; demandant encore une heure pour se décider, cherchant sa destinée dans les yeux de ceux qui l’entouraient ! En un moment, il passe de l’abattement à l’audace, de Fouché à Carnot. Rien ne ressemble moins au Napoléon des temps heureux que le Napoléon de l’adversité. De longs silences, des paroles précipitées, et, comme le rapportent ses familiers, une sorte de catalepsie morale d’où il sortait par momens pour amuser les siens de vains projets de retraite dans sa demeure de la Malmaison. Là, il vivrait seul, loin des affaires, visité rarement de quelques fidèles, sans donner d’ombrage à personne. Et de nouveau par momens le désir de tout ressaisir encore une fois ; il en aurait les moyens, s’il le voulait, et il se plaisait alors à énumérer ses forces. Ses soldats approchaient. Déjà il avait sous la main les dépôts de la garde : 6,000 de ses grenadiers, 17,000 tirailleurs de la garde nationale, tous à lui, sans compter cette foule dont les acclamations se faisaient entendre autour du palais dans l’avenue de Marigny ; mais ces acclamations mêmes ne pouvaient le fixer à une résolution énergique, et il retombait dans ses incertitudes, car il savait trop bien que cette foule, qui a quelquefois abattu un pouvoir, n’a jamais su en défendre ou en sauver un seul.
Dans ces tergiversations, tout se retirait de lui. Le mot d’abdication avait déjà été prononcé autour de lui par un de ses aides-de-camp dès l’arrivée à Laon ; maintenant ce mot était dans toutes les bouches, comme la parole de la nécessité. Chacun sentait que l’empire n’avait plus de raison d’être et voulait se ménager l’honneur d’avoir été le premier à se détacher d’un pouvoir désormais impossible. En effet, l’audace de l’assemblée croissait avec les hésitations de Napoléon ; on le sentait doublement vaincu, sur le champ de bataille et dans le conseil ; on se hâtait de profiter de l’occasion qu’il laissait échapper. Presque tous en vinrent à lui marchander même une heure. Voyez alors, si vous avez quelque impartialité