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la défaite l’avait rendue irréconciliable, il conseille de s’en remettre à la chambre. C’est en elle que Napoléon trouvera le salut de son trône, un appui véritable, et en même temps tous les incidens des conseils tenus à l’Elysée arrivaient par des voies obliques aux oreilles des représentans, les menaces, les projets de violence, puis le retour à la confiance, la lassitude de tant de pensées opposées. Le lion était à demi vaincu ; on le livrait endormi, mais il fallait se hâter. Et comme si pour abattre Napoléon le génie de la ruse ne suffisait pas, la vertu elle-même se leva dans la personne de M. de Lafayette. Il avait appris de la bouche même de Fouché, de Regnault Saint-Jean-d’Angély, les projets de Napoléon contre l’assemblée, il gagna de vitesse l’empereur, et sans prendre le temps de consulter personne, il rompit le silence des vingt dernières années par la proposition que « toute tentative pour dissoudre l’assemblée serait considérée comme une trahison. » Par cette hardiesse, la question fut résolue. Tous ceux qui hésitaient encore se mirent du côté de ceux qui osaient davantage, car en ces momens suprêmes on prend l’audace pour le gage assuré de la force. Même l’auteur de l’acte additionnel, Benjamin Constant, s’était déjà désabusé de son œuvre ; il poussait en secret Lafayette à le délivrer promptement de son héros. « "Vous voulez renverser l’empereur, lui disait-il, vous avez raison ; c’est toujours un tyran[1]. »

C’étaient là autant de déclarations de guerre. Napoléon le sentit enfin, mais trop tard. Il s’était trompé sur les intentions de ses adversaires dans l’assemblée comme sur les projets des généraux ennemis sur le champ de bataille. Pourtant la nuit lui fut encore laissée, et c’est alors qu’il revint à ses projets, cent fois repris, cent fois abandonnés, de disperser l’assemblée et de s’emparer de tous les pouvoirs. Parmi les causes qui l’empêchèrent de prendre cette résolution, l’illusion eut une grande part. Pour retenir sa colère, qui redevenait menaçante, quelqu’un eut l’idée d’affirmer que son abdication, jointe à une prompte soumission aux volontés des chambres, assurerait le trône de son fils. Cet appât grossier fit tomber ses projets de violence. Il goûta cette amorce en souriant, comme s’il n’en eût pas fait l’épreuve, il y avait à peine quelques mois, dans l’abdication de Fontainebleau. Il devait pourtant savoir ce que valait le trône de cet enfant quand il n’était plus là pour le défendre.

Napoléon sans force et sans audace était un spectacle si surprenant et si nouveau que chacun sentit qu’il avait fini de régner. Le matin du 22, un homme obscur (c’est par des inconnus que la nécessité se révèle le mieux), M. Duchesne, proposa dans l’assemblée

  1. Mémoires du général Lafayette, t. V, p. 23.