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bégaiement de la liberté servait les espérances les plus contraires. Le plaisir de la parole après un si long silence suffisait aux rares esprits qui formaient alors la tête des partis ; mais le peuple, la foule, devaient rester longtemps encore sourds à cette puissance qu’ils avaient oubliée ou qu’ils n’avaient jamais connue. C’est, il semble, une des conditions de la France que cet évanouissement successif de la conscience publique. Quelques hommes restent debout et rendent aux autres le sentiment d’eux-mêmes. Après cela, tout disparaît de nouveau et se rétablit de la même manière. La nation semble prendre je ne sais quel plaisir à ce jeu cruel, où se perdent et se retrouvent ses destinées.

Telle était cette assemblée, image de la France asservie et deux fois vaincue. Parmi tant d’illusions, presque toutes volontaires, il en est pourtant une à laquelle la chambre des représentans échappa. Avec une promptitude étonnante, elle vit que le despote d’hier ne supporterait pas longtemps le frein des lois, que pour s’en défaire il n’attendait que de redevenir le plus fort, et pour montrer sa répugnance elle n’avait pas attendu la défaite. Dès l’ouverture de la campagne, quand tout semblait favorable, elle n’avait laissé passer aucune occasion de faire éclater ses soupçons : ils allaient déjà presque jusqu’à la haine, car elle avait d’abord refusé avec ironie de déférer à Napoléon le titre de sauveur, puis celui de grand homme, lorsque les choses étaient encore incertaines ; mais c’est plus tard qu’elle s’était surtout dévoilée. à la nouvelle de la bataille de Ligny, sa première pensée avait été de chercher des garanties contre l’empereur, marquant ainsi qu’elle craignait les victoires de Napoléon presque autant que ses revers, tant le divorce était profond, l’alliance impossible entre l’ancien maître et les libertés nouvelles. Et maintenant qu’il était vaincu, les ressentimens se déchaînaient sans pudeur au nom du salut public. Comme Napoléon avait excité toutes les espérances dans ses prospérités, il excitait dans sa chute toutes les colères. On ne voyait plus de dangers et même de difficultés qu’en lui ; les 500,000 ennemis qui avaient franchi les frontières disparaissaient, on y pensait à peine. Il était désormais le seul ennemi : qu’il s’éloigne, qu’il disparaisse, et tout sera sauvé ! Se débarrasser de l’idole d’hier était le seul désir, mais ce désir était une passion irrésistible. On serait délivré de tous les maux à la fois, si l’on se délivrait du maître encore présent, car, même tombé et précipité, il remplissait seul encore les esprits.


VIII. — FOUCHE.

Du sein de cette assemblée, un homme surgit pour un moment, Fouché de Lyon et de Nantes, maintenant duc d’Otrante, qui ne