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l’ordonnance de 1815 ; la théorie de l’université impériale y est présentée avec une rigueur que n’aurait pas désavouée Napoléon. « L’université a été élevée sur cette base fondamentale, que l’instruction et l’éducation publiques appartiennent à l’état et sont sous la direction supérieure du roi. L’université a le monopole de l’éducation à peu près comme les tribunaux ont le monopole de la Justice, ou l’armée celui de la force publique. » Si la réflexion avait amené Royer-Collard à changer d’avis sur l’université, si la crainte d’une invasion de la part du clergé le déterminait à passer pour le moment dans un autre camp, ce changement pouvait se comprendre à la rigueur ; mais il n’était pas nécessaire de l’appuyer sur une théorie si impérieuse.

Ces exagérations sont d’autant plus regrettables qu’elles devaient être bientôt suivies d’autres exagérations dans un sens opposé. Nous arrivons à une période assez difficile à expliquer dans cette vie si belle. Le conseil d’état était plein des amis de Royer-Collard, lui-même dirigeait l’instruction publique. Il avait conseillé l’ordonnance du 5 septembre, et cette ordonnance avait été rendue ; il avait voulu faire la loi des élections, et il l’avait faite. On le voit cependant, dès la fin de 1817, s’éloigner du ministère et cesser de l’appuyer. On a attribué dans le temps cette nouvelle attitude à un mécompte d’ambition, explication qui paraissait en effet la plus vraisemblable ; mais M. de Barante nous dit au contraire que Royer-Collard n’a jamais voulu être ministre : il attribue son éloignement à une autre cause qui serait presque puérile. « Sans avoir aucune ambition, dit-il, sans envier la position de ministre, il tenait à conserver et à montrer une entière indépendance ; il ne voulait, il ne savait pas faire le sacrifice d’une seule nuance de ses opinions. Il craignait surtout d’être enveloppé dans la responsabilité des ministres, s’il passait pour les appuyer toujours de son approbation. »

Le dissentiment se produisit pour la première fois dans la discussion de la loi sur la presse. La loi proposée avait pour principe que la culpabilité des écrits imprimés consistait dans la provocation à des crimes et délits qualifiés par le code pénal ; en conséquence, pour se conformer au droit commun, la provocation aux délits était déférée aux tribunaux de première instance, et la provocation au crime à la cour d’assises et au jury. C’était à coup sûr une immense conquête qu’une pareille loi en 1817 ; aujourd’hui encore, après plus de quarante ans, nous serions fort heureux de l’avoir. Royer-Collard et son ami Camille Jordan n’en furent pourtant pas satisfaits ; ils réclamèrent le jugement par jury pour tous les délits sans exception commis par la voie de la presse. C’était demander un privilège au lieu d’une liberté, une exception au lieu d’un droit. Cette mise en