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— Allons, allons, dit Hullin, vous avez la fièvre, Catherine… Tâchez de vous calmer, de penser à des choses plus gaies…

— Vous riez, Jean-Claude ?

— Non, mais à entendre une femme de bon sens, de grand courage, parler comme vous venez de le faire, on se rappelle malgré soi la conversation de Yégof, qui se vante d’avoir vécu il y a seize cents ans.

— Qui sait ? dit Catherine d’un ton obstiné. S’il se rappelle, lui, ce que les autres ont oublié !

Hullin allait lui raconter sa conversation de la veille au bivac avec le fou, pensant renverser ainsi de fond en comble toutes ses visions lugubres ; mais, en voyant cette obstination dans l’inquiétude, le brave homme se dit qu’il valait mieux se taire, et reprit sa promenade silencieuse, la tête basse, le front soucieux. — Elle est folle, pensait-il ; encore une petite secousse, et c’est fini !

En ce moment Louise entra comme une hirondelle, en criant de sa plus douce voix : — Maman Lefèvre, une lettre de Gaspard !

Alors la vieille fermière releva la tête, et les grandes rides de ses joues se détendirent. Elle prit la lettre, en regarda le cachet rouge, et dit à la jeune fille : — Embrasse-moi, Louise, c’est une bonne lettre.

Hullin s’était rapproché tout heureux de cet incident, et le facteur Brainstein, ses gros souliers brûlés par la neige, les deux mains appuyées sur son bâton, les épaules affaissées, stationnait à la porte d’un air harassé. La vieille mit ses besicles gravement, ouvrit la lettre avec une sorte de recueillement, sous les yeux impatiens de Jean-Claude et de Louise, et lut tout haut : « Celle-ci, ma bonne mère, est à cette fin de vous prévenir que tout va bien, et que je suis arrivé mardi soir à Phalsbourg, juste comme on fermait les portes. Les Cosaques étaient déjà sur la côte de Saverne ; il a fallu tirailler toute la nuit contre leur avant-garde. Le lendemain, un parlementaire est venu nous sommer de rendre la place. Le commandant Meunier lui a répondu d’aller se faire pendre ailleurs, et trois jours après les grandes giboulées de bombes et d’obus ont commencé à pleuvoir sur la ville. Les Russes ont trois batteries, l’une sur la côte de Mittelbronn, l’autre aux baraques d’en haut, et l’autre derrière la tuilerie de Pernette, près du Guévoir ; mais les boulets rouges nous font le plus de mal : ils brûlent les maisons de fond et comble, et quand l’incendie s’allume quelque part, il arrive des obus en masse qui empêchent les gens de l’éteindre. Les femmes et les enfans ne sortent pas des blockhaus ; les bourgeois restent avec nous sur les remparts, ce sont de braves gens ; il y a dans le nombre quelques anciens de Sambre-et-Meuse, d’Italie et d’Égypte, qui n’ont pas oublié le service des pièces. Ça m’attendrit de voir leurs vieilles