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qui ont assisté à cette fête militaire sont unanimes ; il n’y avait pas là un homme qui, à cette vue, doutât de la victoire. Il est vrai que les heures s’écoulaient ; mais qui pouvait croire alors que ces heures d’enthousiasme profitassent à l’ennemi ? Celui-ci gardait le silence. Ses colonnes masquées par le terrain, serrées en masse, taciturnes, se dérobaient en partie tristement à la vue. Là, point de bruit de trompettes, ni de roulemens de tambours, ni de vivat, mais une immobilité sinistre. Ainsi, grâce à ces dispositions préliminaires, l’armée anglaise paraissait inférieure de beaucoup à l’armée française. Les nôtres avaient, outre tous les autres motifs d’assurance, la confiance du nombre.

Napoléon mit pied à terre sur la hauteur de Rossomme : il était à un peu plus de 1,500 mètres en arrière du front de bataille ; mais son regard pouvait embrasser de là l’ensemble du terrain que les deux armées allaient se disputer. On apporta d’une chaumière voisine une petite table et une chaise de paille. Il s’assit, il déroula ses cartes ; l’action venait de commencer.

Dans une action telle que celle de Waterloo, il semble que les incidens les plus décisifs devraient aujourd’hui être assez exactement connus pour qu’il fût impossible à l’histoire de s’y méprendre, et c’est le contraire qui arrive. Pour peu que l’on entre sérieusement dans l’histoire de cette journée, on s’étonne de voir combien il reste encore d’obscurités, de contradictions, d’incertitudes dans le récit des événemens importans. Telle phase de la bataille a-t-elle précédé ou suivi telle autre phase ? tel village a-t-il été pris ? telle ferme occupée ? à quel moment perdue et reprise ? Chaque relation diffère sur chacun de ces points, et c’est pourtant de cet enchaînement de causes et d’effets que dépend le caractère réel d’une bataille. Il y a dans ces journées une chronologie implacable ; si vous l’intervertissez d’un moment, tout vous échappe. Je me propose ici, non pas de réveiller les émotions du 18 juin, mais de marquer les phases principales de l’action dans l’ordre exact où elles se sont produites. Je cherche la vérité telle qu’un examen de quarante-six années, admirablement rouvert et continué par M. le colonel Charras et le général Jomini, peut la révéler à un esprit impartial, s’il y en a de tels en semblable matière.


Edgar Quinet.
(La troisième partie au prochain n°.)