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de la souplesse, de la force, et surtout une blancheur qu’on ne peut obtenir, dit-on, nulle part ailleurs au même degré. Certes la paille d’Italie, malgré la teinte jaunâtre qu’on lui connaît, est plus fine, plus résistante et plus belle ; mais la tresse en est faite des brins d’un froment nain qu’on ne rencontre guère qu’en Toscane, et dont le chaume est assez flexible pour qu’on puisse l’employer entier et sans le fendre. La tresse belge au contraire est faite de brins de paille coupés et fendus, comme l’est celle qu’on fabrique en Suisse, en Angleterre et en Allemagne. Quoique le travail en soit exécuté d’une manière moins régulière, moins parfaite que dans ces divers pays, elle obtient cependant la préférence sur les marchés étrangers uniquement à cause de sa blancheur. À Paris même, c’est la tresse belge qu’on choisit pour faire les chapeaux de femmes les plus fins après ceux d’Italie. Cette industrie donne lieu à un mouvement d’affaires relativement considérable[1], et répand une animation extrême dans les villages où elle est établie. On peut dire sans exagération que, dans les industrieuses communes de Glons et de Roclenge, tous les habitans vivent et s’occupent du tressage de la paille. Ici c’est un jeune garçon qui, tout en gardant des chèvres sur la lisière d’un bois, tresse déjà la paille grossière ; là, c’est une vieille femme assise devant sa maisonnette, qui, choisissant un à un les chaumes, les assortit suivant le degré de finesse, puis, extrayant chaque partie du tuyau de l’espèce de gaîne où il est contenu, coupe à une longueur égale d’une quinzaine de centimètres les brins qu’elle fend ensuite, au moyen d’un petit instrument, en quatre, en six ou en huit, suivant la qualité de la paille. Ailleurs ce sont des jeunes filles qui, en causant sur le seuil de la porte, tressent avec une dextérité féerique un mince ruban d’un jaune clair et brillant qui s’enroule autour de leur poignet comme un bracelet rustique. Plus loin, un vieillard dévide ces rubans de paille en coupant avec soin tous les bouts des brins qui dépassent, ou bien des jeunes gens cousent les tresses en forme de chapeaux d’hommes ou de femmes d’après les modèles imposés par la mode de l’année. L’été, presque toute la population masculine est absente : les hommes valides se rendent dans les principales villes de l’Europe, où les magasins de chapeaux de paille les attendent pour coudre et apprêter, suivant le goût local, la tresse qui leur a été expédiée de Glons et de Roclenge. à la fin de la campagne, ils reviennent au village, rapportant souvent une belle épargne, mais aussi les besoins plus raffinés de l’ouvrier

  1. On peut porter le chiffre des affaires auxquelles donne lieu le commerce de la paille tressée dans ce district à 4 ou 5 millions par année, et lorsque récemment encore nous visitions Roclenge, on nous affirmait que la guerre civile en Amérique pouvait faire manquer pour plus d’un demi-million de francs d’expéditions.