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sées de l’esprit humain. En même temps la poésie des antiques symboles refleurit dans le Génie du Christianisme et dans les Martyrs. Je ne sais quel courant mystérieux de spiritualisme circule en tous sens, rend à l’histoire son coloris et ses vastes horizons, élargit la critique, ranime les arts et la poésie, inspire des accens d’une mélancolie sublime, d’une tendresse et d’une harmonie inconnues au chantre des Méditations. Partout éclate, avec le goût désintéressé des plus nobles exercices de la pensée, la passion de la liberté. Les âmes se dérobent à l’égoïsme et à la petitesse des intérêts vulgaires et tressaillent aux grandes luttes de la vie publique. Quel enthousiasme, quelle confiance, quelle sympathie entre les cœurs, quel rajeunissement de séve morale et de vie ! C’est ainsi, j’en appelle à tous les souvenirs, c’est par ces nobles élans que notre XIXe siècle a commencé. Est-il possible que tant d’ardeur et tant de génie, de si profondes spéculations, de si rares chefs-d’œuvre, de si belles espérances, que tout cela se termine par un avortement, que notre siècle, arrivé au milieu de sa carrière, donne un démenti à son passé, et que de ses deux meilleurs desseins, la renaissance du spiritualisme en philosophie et celle du sentiment chrétien, le premier aboutisse au retour plus ou moins déguisé du matérialisme, et le second à un fanatisme insensé, aveugle ennemi de la raison, qui, tarissant la source du sentiment religieux, ne laisse place dans les âmes qu’à une docilité servile, à une crédulité superstitieuse, à une dévotion sans lumière et sans amour ? Je ne puis croire, je ne croirai jamais que telle soit la destinée réservée à notre âge. Et cependant, à voir les choses comme elles sont, il faut reconnaître que, si Dieu n’est pour la raison qu’une abstraction sans réalité, si la seule existence réelle c’est l’existence finie, si l’antique opposition des choses de la terre et des choses du ciel n’a aucun sens, si enfin tout être est le produit d’une nécessité aveugle qui enfante les modes successifs de la vie pour les absorber sans retour, la conséquence inévitable, c’est que les hommes ont sommeillé jusqu’à ce jour dans une véritable enfance… Tous les problèmes, le problème social, le problème moral, comme le problème religieux, changeant de données, appellent d’autres solutions, et parmi les penseurs qui les cherchent aujourd’hui, il n’y a que deux sortes d’esprits conséquens, ceux qui, niant la raison, la science et le progrès, rêvent le retour de la théocratie du moyen âge, et ceux qui veulent une reconstitution radicale de la société et de la vie humaines. Voilà ce qui m’a conduit à considérer la question de la personnalité divine comme une des questions vitales de notre temps… »

Qui tient ce noble langage ? Un écrivain qui connaît de la façon la plus précise la situation des écoles philosophiques, l’état des