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dans l’estime et l’admiration de la postérité. Personne n’en doutera, nous osons l’espérer, après avoir lu un exposé de la carrière militante de cet homme éminent, de ses idées religieuses, et de la lutte qu’il soutint pour la noble cause de l’émancipation avec une si étrange et si vigoureuse éloquence.


I

Théodore Parker naquit en 1810 près de Lexington, dans l’état de Massachusetts. Sa famille, de la vieille roche puritaine qui aujourd’hui encore constitue l’élément le plus solide et le plus respectable de l’Union, avait conservé la simplicité de mœurs des pères pèlerins, tout en adoptant l’unitarisme si répandu à Boston et en général dans la Nouvelle-Angleterre. Tout le monde sait aujourd’hui que cette branche du protestantisme a pour dogme distinctif l’affirmation de l’unité absolue de Dieu[1]. Le père de Parker, qui s’occupait d’agriculture et de la construction des moulins, avait des connaissances assez étendues en mathématiques ; sa mère avait un goût marqué pour la littérature et surtout pour la poésie. Sans être riche, la famille jouissait d’une honnête aisance, entretenue par un travail assidu. L’éducation morale de l’enfant fut des plus heureuses[2]. Entouré d’excellens exemples, on l’habituait à développer systématiquement les facultés dont l’usage contribue le plus à mûrir le jugement et à tremper le caractère, — la comparaison, l’observation, l’habitude de se décider en se rendant compte des motifs déterminans, le sentiment religieux et moral, en particulier le retour sur soi-même pour écouter la conscience, qu’on lui apprit de très-bonne heure à considérer comme une voix intérieure de Dieu. « L’esprit d’examen, dit-il, était encouragé chez moi de toutes les manières et dans tous les sens. » Il ne devait quitter une lecture qu’après avoir montré qu’il comprenait ce qu’il avait lu. Ce qui donnera de cette éducation forte et simple une meilleure idée que toutes les descriptions, c’est ce trait unique : « pendant toute mon enfance, je n’entendis pas mes parens proférer un seul mot qui fût irréligieux ou superstitieux. »

Cependant, sous l’humble toit de l’agriculteur américain, l’instruction littéraire et scientifique du jeune homme ne pouvait faire de progrès très rapides. Théodore Parker devait prendre sa part des

  1. Les partisans de l’unitarisme croient que cette unité absolue est niée par la doctrine des trois personnes divines égales entre elles et coessentidles, ainsi qu’elles ont été définies par les conciles généraux du IVe et du Ve siècle.
  2. Parker lui-même exprime sa reconnaissance à ses parens dans un petit écrit, Expérience as a Minister, qu’il publia peu de temps avant sa mort.