Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/729

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il avait pressenti dans notre vieux monde les signes non douteux d’une transformation religieuse ; mais il en croyait l’avènement plus prompt, moins difficile en Amérique, et c’était son espoir de consacrer sa vie à le préparer, non pas qu’il eût la prétention ni même le désir de fonder une secte nouvelle, ni de renverser les anciennes églises : il espérait seulement reprendre en sous-œuvre le rôle fécond et utile que l’unitarisme renonçait à remplir, celui de fomenter un levain réformateur dont l’action régénératrice se ferait partout sentir graduellement.

Au commencement de 1845, ses amis de Boston s’organisèrent en communauté et mirent à sa disposition, chaque dimanche, une vaste enceinte connue sous le nom de Mélodéon. L’usage de cette salle pendant la semaine n’était pas des plus édifians : on y donnait des concerts et des représentations théâtrales ; mais la nécessité faisait loi, et d’ailleurs on sait que là-dessus les Américains n’ont pas notre délicatesse. Quelquefois le prédicateur, en montant le dimanche matin dans sa chaire, apercevait les frivoles instrumens des plaisirs de la veille, qu’on avait à peine eu le temps de ranger dans un coin de l’édifice ; mais bientôt sa voix éloquente et émue se faisait entendre, et tout était oublié. En 1852 seulement, un local mieux approprié s’ouvrit pour recevoir un auditoire qui augmentait chaque année. Avec l’éminent prédicateur M. Henry Ward Beecher, frère de l’auteur de l’Oncle Tom, Théodore Parker a été jusqu’à sa mort l’orateur le plus écouté de l’Amérique.

Si Parker eût été un ambitieux ou un poursuivant de succès lucratifs, il eût bientôt quitté le ministère ecclésiastique, et, profitant de sa notoriété déjà répandue et de son talent d’orateur populaire, il aurait pu devenir l’un des leaders les plus influens des États-Unis. Ceux-là mêmes qui avaient en horreur ses idées religieuses l’eussent volontiers suivi comme chef de parti, surtout dans un temps où le nord, beaucoup plus riche, plus peuplé, plus industrieux, mais aussi beaucoup plus occupé que le sud, avait une peine infinie à trouver des hommes distingues qui consentissent à le représenter dans les conseils de l’Union. Parker repoussa cette tentation et persévéra dans l’œuvre à laquelle il se sentait appelé. Il fut dès lors en butte à une opposition qui aurait découragé tout autre que lui. Les accusations, les censures et les menaces dévotes, la haine de la majorité du peuple ameutée par ses dénonciateurs, tombèrent sur lui comme une avalanche. Des insultes lui furent adressées en public par des hommes qui se vantaient naguère de son amitié. On pria tout haut, dans certaines réunions pieuses, pour qu’il fût ou converti ou puni d’en haut. On refusa (il faut bien citer ce trait des mœurs américaines) de s’asseoir sur le même canapé, à la même table, de monter