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La liberté de la parole est grande en Amérique, du moins dans le nord. C’est le contre-poids du despotisme souvent écrasant de la majorité du jour et de l’heure. Parker ne se fit pas faute de parler librement. Mal en prit à un maire de Boston d’avoir donné l’exemple de l’intempérance, à Zacharie Taylor d’avoir acheté quatre-vingts esclaves dans les années qui précédèrent la guerre du Mexique et son arrivée à la présidence, à Daniel Webster de s’être laissé servir une pension par les riches négocians du nord, qui avaient intérêt à ce que ce puissant défenseur du libéralisme politique endormît sous les fleurs de sa rhétorique la réaction grandissante contre les mesures favorables à l’esclavage. Il y eut dans Boston une voix incorruptible et sans peur qui dénonça tout haut ces honteux écarts, et qui fut écoutée. Bientôt la chaire de Parker devint une des puissances du pays. Ses sermons circulaient avec la rapidité de pamphlets populaires. Des hommes supérieurs à l’influence des coteries, un Wendell Philipps, un Emerson, un Sumner, exprimèrent bientôt leur sympathique estime pour ses talens et son caractère. L’impopularité des premiers jours se changea en une sorte de crainte respectueuse vis-à-vis de cet homme de fer qu’aucune menace ne pouvait ébranler, qu’aucune perspective intéressée ne pouvait séduire, et qui ne se demandait jamais avant de parler si ce qu’il allait dire plairait à ses auditeurs. Ainsi Parker dénonça hautement la guerre du Mexique comme une guerre injuste, déloyale et lâche, comme un crime national, commis uniquement dans l’intérêt du parti de l’esclavage, et il en appela à la conscience publique des arrêts d’un patriotisme trop fier des victoires remportées et des territoires conquis. Il courut même de graves dangers en heurtant ainsi les passions de la multitude. Dans un meeting de Boston, où il devait prendre la parole contre la guerre, des volontaires revenus de l’armée pénétrèrent en armes dans la salle. Parker n’en décrivait pas moins avec des paroles brûlantes d’indignation les maux qu’avait faits la guerre et la honte qui en rejaillissait sur le drapeau fédéral, lorsque des vociférations menaçantes se firent entendre. C’étaient les volontaires qui exprimaient leur opposition. Parker se tourna vers eux et les fit taire d’abord en leur disant simplement : « A la porte ? et à quoi bon ? » Et il continua son discours ; mais comme il était loin de modérer son langage, les murmures et les grognemens recommencèrent de plus belle. Les cris des volontaires furent même suivis de vociférations d’un caractère plus sinistre : Kill him ! kill him ! tuez-le ! tuez-le ! — Et un bruit de fusils qu’on arme retentit dans la salle. Parker refusa de céder : « A la porte ? leur cria-t-il d’une voix retentissante. Je vous dis que vous ne m’y mettrez pas… Et vous voulez me tuer ? Eh bien ! je déclare que je m’en retournerai