Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/750

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

créées par les intérêts, les vices, les sacerdoces, les pouvoirs politiques de l’heure présente ; cet homme, qui se refuse à tout compromis, qui n’a aucune espèce d’indulgence pour les nécessités politiques ou commerciales, qui, malgré tous les découragemens, malgré toutes les amertumes dont on l’abreuve, annonce joyeusement sur les toits l’aurore prochaine et prédit avec une assurance que rien ne déconcerte la victoire définitive de la vérité et de la liberté, cet homme est un prophète.

Du reste, ce n’est pas seulement pour les États-Unis que Parker a été un prophète. Son patriotisme n’avait rien d’exclusif ; il se sentait à la lettre citoyen du monde, et s’il aimait tant l’Amérique, c’est qu’il y voyait le sol prédestiné où pourrait un jour se réaliser l’idéal rêvé par notre Europe. Pour nous aussi, au moment où les édifices et les traditions séculaires menacent de s’écrouler, quand on se demande avec anxiété s’ils n’écraseront pas sous leurs décombres et ceux qui les ébranlent et ceux qui les défendent, un homme tel que Parker est un prophète de consolation et d’espérance. Il a raison : quoi qu’il arrive, l’homme restera l’homme. Dans sa nature même, telle que Dieu l’a faite, il y aura toujours les révélations et les promesses qui font les belles vies et les belles morts. Et que nous faut-il de plus ? Heureuses les églises qui trouveront dans leurs principes essentiels le droit de s’ouvrir sans révolution à ce christianisme impérissable dont Théodore Parker a été le prédicateur inspiré ! Beaucoup de ses argumens seront réfutés, beaucoup de ses opinions seront oubliées ; mais la vérité fondamentale qu’il a soutenue, — à savoir que tout en définitive repose sur la conscience, que Dieu se révèle à quiconque le cherche, que le salut de l’homme et de la société, sur la terre comme au ciel, ne dépend ni des dogmes, ni des rites, ni des miracles, ni des sacerdoces, ni des livres, mais du « Christ en nous, » c’est-à-dire du cœur droit, de l’âme aimante, de la volonté active et dévouée, — cette vérité ne périra pas et nous fera vivre avec elle. Et l’église qu’il a appelée de ses vœux, plus large d’ailleurs que l’unitarisme américain, l’église qui ouvrira un jour ses bras à toutes les sincérités, à tous les désintéressemens, à toutes les grandeurs morales, cette église vraiment universelle, qui dans le passé réunit déjà tant de nobles âmes séparées par des barrières aujourd’hui chancelantes, ne périra pas davantage.


ALBERT REVILLE.