Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/804

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’à l’occasion elle fasse irruption dans le gouvernement. Ainsi l’ancienne controverse entre le côté droit et les doctrinaires, entre M. de Serre et Royer-Collard, subsistait tout entière après 1830. En défendant avec éloquence l’hérédité de la pairie contre la démocratie en 1832, Royer-Collard ne tranchait pas le débat contre M. de Serre, et tout ce qu’il avait affirmé depuis quinze ans était virtuellement remis en question.

C’est qu’en effet le problème de la conciliation du gouvernement d’un grand état avec la démocratie dans la société avait reçu de la révolution de 1830, comme de toutes les révolutions qui ont suivi, moins une solution qu’une gravité nouvelle. Ce problème dépassait de beaucoup les questions de détail auxquelles on aurait voulu le réduire. Ainsi, quelque importance que put avoir l’hérédité de la pairie, elle était loin de contenir en elle-même une vertu qui pût sauver l’état. Elle aurait été maintenue en 1832, qu’elle n’eût pas empêché la révolution de 1848. Ce n’est pas faute d’une chambre héréditaire que nous avons péri, et c’est en des termes plus généraux que doit être posé le problème de la démocratie moderne.

C’est ce que concevait, pendant que Royer-Collard déployait les forces d’une éloquence prophétique contre une théorie du moment, un jeune homme dont l’esprit sérieux et pénétrant devait être jugé un jour par lui digne de l’entendre et de lui répondre. Alors qu’on se consumait dans la tâche épineuse d’organiser un gouvernement nouveau, Tocqueville, frappé de l’aspect général du monde, allait par-delà l’Atlantique contempler la démocratie à l’œuvre et l’étudier dans la plus grande et la plus neuve expérience qu’elle eût jamais tentée.

Nous nous sommes, au seul nom de Royer-Collard, laissé aller à quelques souvenirs personnels. Le nom de Tocqueville nous en suggérerait de plus pressans et qui nous touchent plus intimement. C’est peut-être une raison pour nous abstenir de les épancher ici. Nous ne pourrions nous satisfaire à demi, et cependant le public n’a nul besoin de nos confidences. N’a-t-il pas dans les mains cette correspondance si remarquable où Tocqueville s’est montré presque tout entier ? On ne le peindrait pas mieux qu’il ne s’est peint lui-même, et d’ailleurs, si quelques détails étaient demandés sur sa vie pour la connaître telle que l’a vue le témoin le plus fidèle, l’observateur le plus sympathique, ce n’est pas à nous qu’il faudrait s’adresser. M. Gustave de Beaumont a mis en tête de cette correspondance une notice étendue ; c’est ce morceau éminent par la justesse, le tact et la vérité qu’il faut lire. En s’effaçant lui-même avec une abnégation pleine de goût, M. de Beaumont n’a laissé paraître de son amitié que la communauté parfaite des sentimens et des idées. Je ne