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Qui donc les gouvernera ? pourrait-on demander ; sera-ce une noblesse ? Mille fois non, se serait écrié Royer-Collard. Que veut-il donc dire ? Le voici : « Le remède, s’il y en a, je ne le sais pas, ou il serait pire que le mal. » Ainsi il n’est pas sûr qu’il y ait du remède, ce qui signifie que le jour peut venir où il n’y aura plus ni gouvernement, ni affaires publiques, en d’autres termes que le monde finira, ou bien qu’il y aura quelque chose de pis que tout cela, et l’on pourrait demander quoi. Ce sont donc là, j’en suis bien fâché, de vaines paroles.

J’y insiste parce qu’on entend tous les jours des pleureurs de la société qui, avec moins d’autorité que l’homme illustre qui fut notre maître à tous, se complaisent dans cette politique de Jérémie, et je n’hésite pas à dire qu’ici Tocqueville a raison contre Royer-Collard, et qu’il est dans le vrai et dans le pratique lorsqu’il soutient qu’il faut vivre et gouverner avec la démocratie, c’est-à-dire avec la société telle qu’elle est, et que le problème ne peut être insoluble. En fait, il est certain qu’il ne l’est pas, puisque la société ne disparaîtra pas de la terre. Le temps amènera infailliblement une solution, seulement il se peut que la solution ne soit pas la meilleure du monde. Quand cela serait, on en devrait avoir moins de surprise que de chagrin. Si le résultat de l’état démocratique des sociétés devait être un mauvais gouvernement, ce ne serait pas là dans l’histoire de France une grande nouveauté.

Mais nous ne nous résignons pas ainsi ; il ne nous faut pas une solution quelconque, il nous en faut une bonne. Lorsqu’une nation a fait ce que la France a commencé en 1789, elle est engagée d’honneur à réussir, à se donner un gouvernement perfectionné qui la récompense de ses efforts et la dédommage de ses malheurs. Parce que nous ramenons dans de justes limites les inquiétudes que peut inspirer l’état nouveau du monde, nous ne conseillons pas une insouciante sécurité qui acquiesce à tout, tolère tout, excuse tout. La démocratie n’est pas cette monstruosité qui scandalise tant de bonnes âmes ; mais enfin elle place le monde dans une situation nouvelle et inconnue : l’expérience manque ou n’est pas suffisante pour nous éclairer sur ses besoins, ses lacunes, ses difficultés, ses ressources ; les applications historiques sont inexactes. La rencontre simultanée de l’accumulation sur un vaste territoire d’une population large et pressée avec les développemens extrêmes de la civilisation, la création de la grande industrie, le besoin général de la lecture, la rapidité extrême de la circulation et l’établissement de l’égalité des droits constituent quelque chose de neuf et d’inouï. Cette étude n’a pour but que de signaler l’importance des questions que suscite un tel état de choses, et nous concevons le sentiment dont la correspondance