Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/858

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aucun insecte ne rompait l’uniformité de ce tapis d’argent, sinon les parcelles innombrables qui le composaient, et qui brillaient séparément comme autant de rivales. Fascinée par les lointains lumineux, l’âme de Manidette semblait flotter en même temps que son regard sur la surface éblouissante. La jeune fille tressaillit soudain : elle venait d’apercevoir, à demi enterrée dans le sable, une grosse perle bleue. Elle avait bien vite reconnu dans cette perle un des ornemens dont Paradette aimait le plus à se parer. Manidette ramassa la jolie perle, la fit reluire au soleil, la rapprocha de son visage et l’éloigna tour à tour. Cette perle, d’un beau bleu de turquoise, la charmait. À ce jeu dangereux, un vif sentiment de coquetterie finit par s’emparer de la pauvre fille. — Qui sait, dit-elle, si avec de tels atours je ne paraîtrais pas aussi jolie que Paradette ? — Et, d’une main approchant la perle de son oreille ; elle prit de l’autre son picou pour s’en faire un miroir. Penchée sur le vase rustique, elle tâchait de saisir dans la mignonne image qui se dessinait sur les flancs humides de l’alcarazas l’effet que produisait la blancheur de son teint rehaussée par la perle, lorsqu’un cri poussé tout à coup derrière elle lui fit lâcher le picou, qui tomba à ses pieds. Il ne se brisa pas, mais l’eau se répandit et s’en alla glisser sur le sable comme un ruisseau.

Manidette n’était pas revenue de son effroi, que, montée sur sa carriole, Paradette se trouvait à deux pas du Maset. « Eh ! reprit la cabaretière en sautant à terre, ne vous gênez pas, la fille ; mais, ajouta-t-elle en s’emparant de la perle et en la replaçant à sa boucle d’oreille, apprenez, ma mie, que pour juger de l’effet d’une parure, il faut qu’elle soit complète. » Et, balançant la tête avec coquetterie, elle écouta complaisamment le cliquetis que produisit la boule de verre en frappant sur le collier formé de perles semblables qui décorait son cou, — Je pensais bien que c’était ici que j’avais perdu ma boule bleue, ajouta-t-elle : aussi venais-je l’y chercher en allant aux Saintes-Maries ; mais vous, comment se fait-il que vous l’ayez trouvée ? Pour venir au Maset, il faut y avoir perdu quelque chose ou y attendre quelqu’un. Or comme je ne connais que Bamboche qui puisse y donner des rendez-vous, il faut donc que vous soyez venue ici pour dérober mon bijou, ou pour m’enlever le cœur du gardian, dit-elle en s’animant à sa propre colère.

— Je suis partie ce matin du Sansouïre pour les Saintes-Mariés, et si je suis au Maset, c’est, pour m’y reposer, répondit la jeune saunière d’un ton ferme. J’ai trouvé votre perle par hasard, et je comptais vous la faire remettre par quelque pèlerin ; mais je croyais qu’il m’était permis, avant de la rendre, d’essayer si le bijou d’une jolie fille pourrait m’embellir.

Regrettant de s’être emportée aussi injustement et flattée de la