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et dont un côté est fleur de pêcher, tandis que l’autre à la couleur du citron. Une large bande d’or sur le rose, une autre d’argent au revers forment les marges de chaque lé. Vous retrouvez là les tons si fins des azalées, des glaïeuls et des balsamines, avec leurs modulations et leurs vibrations, passant par les plus habiles transitions, sans effets criards, sans bizarreries mélodiques. Ces habiles tisserands connaissent à fond les effets que la lumière produit sur la trame, et y soumettent le grain de l’étoffe en l’élevant ou l’écrasant, en le disposant de biais, en carré ou en zigzag. C’est ainsi qu’ils arrivent à reproduire tous les reflets, tous les moirés, toutes les nuances changeantes des papillons, des insectes et des oiseaux. Voyez ce tulle d’or et cette mousseline du Bengale où se sont accrochées les ailes d’émeraude et de rubis des scarabées, des cantharides et des mouches de feu. Ne dirait-on pas la rosée, dont chaque goutte, traversée par un rayon du soleil levant, forme un véritable arc-en-ciel ? D’autres étoffes, et ce ne sont pas les moins élégantes, restent unies et souples comme ces toiles d’araignée dont elles imitent la trame inégale et moelleuse. Ce sont véritablement des vapeurs tissées. L’imagination rêve déjà sous cette brume transparente les corps rosés des bayadères, leurs bras et leurs cous étincelans de pierreries, leurs cheveux enfermés sous le réseau de fleurs du stéphanotis, dont l’enivrant parfum reste encore sur ce vêtement impalpable.

Laissons de côté tout ce luxe écrasant d’or, d’argent, de velours et de cachemire, où l’étoffe succombe sous la broderie, ruisselante comme le métal en fusion. Malgré la beauté du travail, malgré la valeur considérable des matériaux, ces étoffes n’ont pas pour l’artiste le charme qui naît de la beauté dans la simplicité ; mais les tapis, les simples étoffes de soie, de laine ou de coton, quels chefs-d’œuvre, et quels artistes que les gens qui les font ! Pour qui sait voir, comme ce spectacle démontre l’ignorance profonde où nous sommes des lois de la couleur et de l’harmonie ! Vous tous, fabricans, ouvriers et dessinateurs d’ornemens, étudiez et tâchez de comprendre ces lois naturelles, ce sentiment du beau qui marque de son timbre l’œuvre la plus légère. La moindre loque de ces pays est un modèle à étudier pour tous. Les lignes de ces arabesques, dans leurs savans méandres, composent parfois des dessins aussi bien applicables à l’architecture et à la peinture qu’à la broderie. Cet art du travail au métier et à l’aiguille a été dans tous les siècles chanté par les poètes : il n’a pas besoin d’or et d’argent pour être riche, comme le prétendent nos fabricans, afin de se dispenser de l’imiter. Il sait à peu de frais être magnifique, car le goût en fait toute la valeur.