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ses forces surexcitées et dirigées à faux, que sans l’art les machines n’étaient rien, et que les symptômes menaçans d’une décadence trop visible n’avaient pas d’autre cause que cette substitution de la force inintelligente de la mécanique à la force intelligente de l’homme. Les académies, la Sorbonne, les musées, l’Opéra, le Conservatoire de musique, Sèvres et les Gobelins, sont les grands ateliers chargés d’inspirer et de diriger l’intelligence humaine dans ses routes diverses. Fortifions-les donc, relevons ceux de ces établissemens qui s’affaiblissent et dégénèrent, et tâchons, chacun dans notre sphère d’artiste, d’éclairer la voie par nos méditations et notre amour du beau. C’est dans cette pensée que nous demandons à la manufacture des Gobelins, qui bientôt doit être reconstruite, 1° la création d’un musée d’étoffes de la Chine, de l’Inde, de la Perse et d’Asie-Mineure, disposé comme celui de Sèvres pour la céramique ; 2° la création d’ateliers pour la fabrication d’étoffes-modèles ; 3° un changement complet dans le système décoratif des tapisseries de haute lisse, de telle sorte que les peintres et les tapissiers n’aient qu’une préoccupation, celle de la pureté du trait et de la couleur, abandonnant complètement l’idée du trompe-l’œil, des ombres et du relief ; 4° la création de tableaux d’harmonie où des laines et des soies de couleurs franches soient associées de la façon la plus simple, la plus agréable à l’œil, et suivant les lois de la vibration des tons, ainsi que les fleurs nous en donnent l’exemple.

De cette façon, nous en avons l’espoir, on pourra rentrer dans les conditions vitales de la fabrication des étoffes. Alors celle de nos industries où l’art tient une place importante n’aura plus rien à craindre de ce mot terrible de libre échange qui effraie nos commerçans engourdis. C’est à ce prix que l’industrie française des étoffes gardera son rang en Europe. Si nous nous trompons, et si avec nous se trompent aussi tous ceux qui, soit par leurs études sur l’art, soit par leur fortune héréditaire, leurs habitudes de luxe et les traditions du goût, cherchent dans le bric-à-brac ces tapis, ces châles, ces porcelaines, ces meubles que notre haute civilisation ue peut pas leur donner ; si vous enfin, fabricans et industriels[1], vous êtes aussi certains que vous le dites de votre force, de vos progrès de géant, de votre science et de votre goût, acceptez alors le combat, levez les barrières, ouvrez vos portes à ces productions orientales si arriérées, si inférieures, et dormez tranquilles sur vos lauriers, assurés comme vous l’êtes d’une éclatante victoire !


ADALBERT DE BEAUMONT.

  1. Nous nous hâtons d’excepter le remarquable rapport de M. Bernoville, manufacturier, qui rend complète justice au sentiment artiste de l’industrie orientale. — Voyez tome IV des Travaux de la commission française sur l’industrie des nations à l’exposition universelle de 1851, page 53.