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car, une fois abrutis par la honte, ces malheureux ne connaissent même plus leurs frères. M. de Berg fait à peine allusion à ces odieux souvenirs de 1846, il peint seulement la situation présente ; mais il n’hésite pas à rejeter sur le gouvernement autrichien la responsabilité de toutes les infamies qu’il a vues de ses yeux. Aucun souci de l’instruction du peuple, pas d’écoles dans les villages, nulle surveillance du clergé, qui, tout occupé de ses querelles avec les prêtres grecs ou les pasteurs protestans, ne songe qu’à retenir les fidèles dans les liens d’une superstition judaïque. Et pourtant que de précieux élémens à mettre en œuvre dans ces contrées fécondes ! « La Galicie, dit M. de Berg, m’est apparue comme une terre véritablement bénie dans toutes les parties que j’ai visitées. Un sol riche, et qui, bien cultivé, peut donner des moissons abondantes, un climat tempéré, de belles forêts, malgré le peu d’art qui préside à leur aménagement, en un mot tous les élémens d’une prospérité durable, voilà ce qui frappe tout d’abord les regards de l’observateur. Et qu’est le peuple sur cette terre privilégiée ? Pauvre, paresseux, plongé dans l’ivrognerie, dégradé sous tous les rapports, il n’a ni instruction, ni moralité, ni sentimens religieux. Et tel est le résultat d’une possession presque séculaire aux mains du puissant empire d’Autriche ! »

De la Galicie, pour pénétrer dans le Banat, il faut traverser une partie de la Silésie, de la Moravie, entrer au cœur de la terre des Magyars et se diriger ensuite vers l’Orient. Grâce aux voies ferrées, cette longue distance est franchie assez vite. C’est à Gänserendorf qu’on abandonne les chemins de fer du centre pour prendre la ligne de la Hongrie orientale. Jusqu’à Presbourg, on traverse un pays de plaines et de collines bien cultivées. Là, on longe quelque temps les bords du Danube, puis on s’engage dans de vastes plaines uniformes, et c’est seulement à l’endroit où les belles coupoles de la nouvelle cathédrale de Gran apparaissent sur la rive droite qu’on retrouve enfin le grand fleuve pour ne plus le quitter jusqu’à Pesth. Bien que M. le baron de Berg n’ait vu la Hongrie qu’à vol d’oiseau et qu’il la juge très rapidement, il en note plus d’un trait curieux dans son journal. Ses opinions préconçues, les jugemens tout faits qu’il apporte d’Allemagne n’ont qu’une valeur très médiocre à nos yeux. Quand il peint ce qu’il voit et rapporte ce qu’il entend, nous retrouvons le voyageur impartial dont les confidences sont si précieuses. Comment s’étonner par exemple qu’un Allemand dévoué à l’Autriche arrive en Hongrie avec un système tout arrangé d’avance sur la question magyare ? M. de Berg en est encore à l’histoire des Hongrois sous M. de Metternich. Les Magyars, à l’en croire, sont toujours une race féodale, qui non-seulement s’obstine à tenir sous