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espèce de lacune ? L’observation que je viens de faire contient un remercîment plutôt qu’un reproche. Si M. Émile Saisset, enchaîné par les légitimes scrupules de la science, n’a pas voulu sortir du pur domaine philosophique, il nous fournit le moyen de nous élever plus haut. S’il nous laisse sur le seuil du christianisme, les sentimens dont il remplit notre cœur et les principes dont il arme notre esprit peuvent fournir aux âmes religieuses des argumens nouveaux en faveur de la révélation de Jésus-Christ.

On voit que de richesses contient cet Essai de Philosophie religieuse ; puissent les mâles doctrines de ce spiritualisme contribuer pour leur part à la guérison de nos misères morales ! Il ne s’agit pas pour nous de questions d’école où de brillans esprits se disputent la victoire ; ce sont les plus chers intérêts de la patrie qui sont ici en jeu. À l’époque où Leibnitz, en face du scepticisme et du matérialisme de son temps, proférait les prédictions sinistres que nous citions plus haut, les publics spirits dont parle ce noble maître étaient entretenus par le besoin de réformer une société caduque… Le XVIIIe siècle venait de commencer, on marchait vers la lumière de 89, et un enthousiasme secret, un spiritualisme qui n’avait pas conscience de lui-même, rectifiait en maintes rencontres l’influence fatale des doctrines à la mode. Aujourd’hui que les grands principes, d’égalité, de justice, de droit commun, inscrits dans nos lois civiles, nous ont presque rendus indifférens à d’autres droits non moins précieux, aujourd’hui qu’aucune lutte élevée, aucune ambition généreuse n’anime, comme il y a cent ans, la société tout entière, les erreurs d’une philosophie sans Dieu ne seraient que trop conformes à nos défaillances morales. Qu’on veuille bien songer à tous les périls d’une telle situation : il s’agit de vie ou de mort. Si les doctrines qui, détruisant la personnalité de Dieu, détruisent aussi la personne humaine, si les doctrines des sceptiques, des critiques, des panthéistes, venaient à triompher définitivement sur notre sol, cela voudrait dire que nos destinées sont finies. Il n’y aurait plus qu’à sceller un sépulcre et à graver sur la pierre : « Ci-gît tout un monde, la France a cessé de vivre. » Mais loin de nous des craintes si lâches ! loin de nous ces pensées de désespoir ! La France, à qui il reste tant de progrès à faire, tant de fautes à réparer, a encore de glorieuses destinées à accomplir, et le spiritualisme est immortel.


Saint-René Taillandier.