Il les jetait toujours, mais l’infâme monnaie
Tachait, toujours tachait sa main comme une plaie.
Toi qui fus mis en croix pour avoir trop aimé,
Christ, c’est là ton bourreau, qui, d’un baiser armé,
Parjure, déchira les sept voiles de l’arche.
Une céleste voix lui cria : « Marche, marche,
Jusqu’au jour où Jésus, le pasteur glorieux,
Pour compter ses brebis abaissera les cieux. »
Puis on vit s’avancer, majestueux et graves,
Mahomet, Tamerlan, ces conducteurs d’esclaves.
L’Arabe sur un livre usait son noir regard,
À son flanc le Mongol serrait un long poignard,
Et ces fils d’Orient passaient, l’âme sereine,
Beaux et droits dans les plis de leur robe de laine.
« L’imposteur, le faucheur d’hommes, prophète et roi,
Se dit l’ange du mal, tous les deux sont à moi,
Puisqu’en un jour d’ennui je les sacrai moi-même ;
Ils ont meurtri l’Asie, et ma haine les aime.
Malheur à moi ! l’amour chasse la loi de sang ;
Devant l’ardente croix fuit le pâle croissant :
Incrédule au Koran et lasse enfin du glaive,
De son lit parfumé l’Asie en pleurs se lève ;
Dans sa blanche poitrine un cœur a palpité,
Et sur l’Europe gronde un vent de liberté.
La liberté tuera le mal. C’est la lumière,
L’étincelle de vie animant la matière,
La respiration des peuples, et le feu
Qui me consumera : la liberté, c’est Dieu ! »
Un fantôme parut, dont les mains décharnées
Annonçaient la misère ou de longues années ;
Mais son suaire était d’un tissu précieux,
Souple, lamé d’argent, frangé de fils soyeux.
Ce vieillard grelottant s’adossa contre un arbre.
« J’habitais un palais de porphyre et de marbre,
Dit-il, et j’aurais pu reconstruire Babel,
Par une échelle d’or escalader le ciel !
La charité jamais n’ouvrit mon seuil avare,
Et sans douleur j’ai vu les haillons de Lazare,
Pendant qu’à pleines mains, dans mon vaste trésor.
Je remuais à flots les diamans et l’or. »
Cet or cher et maudit, qui coulait dans ses veines,
Ruisselait de ses yeux comme de deux fontaines.
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