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De tous ces criminels vous n’aurez pas le nombre :
Noir secret que la Mort veut garder dans son ombre !

Le feu s’était éteint. À l’horizon changeant,
L’aube avait hasardé son écharpe d’argent ;
Moins pâle, le ciel brun s’emplissait d’harmonie,
Et la procession des morts était finie.
Pendant qu’ils retournaient à l’abîme éternel,
Une voix leur cria, qui descendait du ciel :
« Vainement la douleur frappe votre poitrine,
O morts ! il est trop tard : la clémence divine
Pardonne les forfaits, mais non la lâcheté ;
Vous avez peur de Dieu, peur de l’éternité.
Vous tremblez tous devant la géhenne et les flammes,
Et ce n’est pas l’amour qui ramène vos âmes. »
Comme un lion vaincu, Satan se redressa,
Et sur son mâle front son poil se hérissa.
Les justes, où sont-ils ? à la droite du Père,
Heureux, le cœur brûlant des feux de la prière.
Le Dieu terrible et doux, qui leur a pardonné,
Les a sauvés des yeux du souverain damné,
Parce qu’ils ont aimé la paix et la justice ;
Ils cueillent les fruits d’or du jardin de délice.

Satan siffla. Magog, son docile coursier,
Accourut. Sur son dos sauta le cavalier ;
Puis du couvent sortit une femme robuste :
Une corde serrait sa robe sur son buste,
C’était la Mort ! — « Suis-moi, lui dit l’ange du mal,
Travaille pour l’enfer et son maître fatal.
Va ! l’univers est vaste et ma haine est profonde ;
Fauche, sans te lasser, l’herbe humaine du monde.
 Adieu, moi je retourne au royaume sans air. »
Le cheval, qui s’enfuit, vola comme l’éclair.

Du Caucase doré, ce roi neigeux des nues,
Le soleil éclaira les cimes inconnues,
Et son rayon, frappant les terribles hauteurs,
Du roc de Prométhée alluma les blancheurs.


HENRI CANTEL.

Tiflis, novembre 1860.