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gouvernement russe appliquent à la Pologne. La condamnation de l’administrateur du diocèse de Varsovie, d’un prêtre et d’un vieillard, à l’exil en Sibérie, l’enrôlement forcé des prêtres et des prisonniers dépassent la mesure d’oppression dont on peut même de loin endurer le spectacle. L’empereur Alexandre est mal conseillé ; nous ne voulons pas croire que ses agens laissent la vérité parvenir jusqu’à lui. Ce prince a montré qu’il aspirait à l’estime de l’Europe libérale, et nous espérons qu’il ne souffrira pas que sa bonne renommée soit compromise par des actes pareils commis en son nom.


E. FORCADE.


Les vives et profondes impressions qu’a éveillées la mort du roi dom Pedro V ne sont point effacées en Portugal. Le nouveau roi dom Louis n’a pas eu encore le temps de faire acte de souverain ; il s’est renfermé dans son deuil, se bornant à confirmer pour le moment le ministère qu’il trouvait au pouvoir. Un mauvais sort d’ailleurs semble peser sur ce petit pays. Un autre frère du roi est encore gravement malade, le duc de Saldañha est mort aussi presque en même temps. Tous ces coups répétés ont frappé l’imagination populaire au point de lui imprimer un ébranlement profond et de lui montrer une sorte de malignité mystérieuse dans cette obstination du malheur. Les masses ne raisonnent pas, elles ont tout soupçonné, même quelque crime longuement prémédité et qui serait absurde. À tout prendre, il ne faut voir ici que la marque de l’affection dévouée et touchante que ce petit pays a pour la famille royale, qu’il avait surtout pour ce jeune roi mort récemment avant d’avoir pu faire tout le bien qu’il voulait, mais après avoir assez vécu pour s’être fait aimer et estimer de son peuple. Dom Pedro V méritait cette affection populaire qui éclate aujourd’hui dans le deuil.

C’était sur le trône le type curieux et attachant d’un prince sincère, honnête, laborieux, libéral, d’un esprit très cultivé, quoique un peu lent et un peu timide. Il n’avait au monde qu’une passion, si on peut lui donner ce nom, celle de gouverner utilement et libéralement ; il était pénétré des devoirs de la royauté. Souvent il voyait ses ministres se tromper ou ne pas faire ce qui aurait dû être fait, il les critiquait et même les persiflait quelquefois ; mais il respectait en eux la loi et la volonté du parlement, il les consultait toujours et ne s’écartait pas de leurs conseils, et si on lui faisait remarquer cette contradiction entre ses critiques et ses actes, il répondait qu’en faisant son devoir de roi constitutionnel, il ne restait pas moins citoyen et gardait les libertés du citoyen. Il ne regrettait nullement les prérogatives du pouvoir absolu ; mais on sentait que souvent il étouffait le désir de mieux faire, il refoulait une certaine ambition du bien et se consumait lentement. Honnête homme avant tout, il repoussait doucement la corruption et l’éloignait par instinct. Il avait une haute et sérieuse vertu, et dans sa famille on l’appelait, dit-on, le père. Il était curieux de voir ce jeune homme choyé de son peuple, estimé de tous, dégoûté de la vie, allant chercher dans son éducation allemande des rêves confus, mêlant un