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les premiers principes de notre organisation politique, que nous irions au rebours de notre histoire, que nous foulerions aux pieds les leçons de Jay, de Hamilton, de Washington, de Marshall, de Madison, de Dane, de Kent, de Story, de Webster, et qu’acceptant comme seuls infaillibles les dogmes de Calhoun, nous abandonnerions pour jamais nos lois et notre existence nationales ! »

C’est en effet dans les opinions de Calhoun qu’il faut chercher les premiers germes du redoutable divorce qui sépare aujourd’hui les deux sections de la confédération, et qui a mis la souveraineté des états en face de celle des États-Unis. Avant lui et, on peut le dire, dès l’origine de la république, on avait pu observer deux tendances chez les hommes d’état américains, les uns plus enclins à affermir le pouvoir central et à augmenter ses prérogatives, les autres plus disposés à chercher des garanties pour l’indépendance des états. Les fédéralistes visaient à ce qu’on est convenu de nommer aujourd’hui la centralisation, les démocrates à la décentralisation ; mais jamais il ne fût venu à la pensée de Jefferson de pousser le conflit entre les attributions de l’Union et celles des états jusqu’à la révolution armée. Sa loi suprême était la constitution : toutes les fois qu’elle ne contenait, sur un point donné, aucune limitation formelle et explicite du droit des états, il se prononçait contre l’intervention du pouvoir central ; mais en agissant ainsi il n’avait d’autre but que de défendre le peuple contre les excès du pouvoir, il ne niait point ce pouvoir dans ce qu’il avait de légitime. Avec Calhoun, nous voyons l’opinion démocratique, égarée par le talent remarquable de cet homme d’état, s’engager sur une pente qui devait fatalement la conduire jusqu’aux dernières extrémités. Son ouvrage posthume, Disquisition on the government, nous donne la clé de son système ; il est encore aujourd’hui l’arsenal où les démocrates puisent à pleines mains. Calhoun réussit à donner une couleur généreuse à des doctrines dont l’objet n’était pourtant que d’assurer à l’oligarchie des maîtres d’esclaves la direction suprême des affaires de l’Union. Son œuvre peut se résumer ainsi : le gouvernement est nécessaire pour protéger la société contre l’égoïsme des intérêts individuels, mais les individus ont aussi besoin d’être protégés contre les abus du gouvernement. Le suffrage libre et absolu ne les défend point contre l’oppression et l’injustice, car il les soumet aux caprices, aux tendances, aux passions de la majorité. La presse incline toujours du côté où sont les plus puissans intérêts, et la liberté ne lui apprend ni le désintéressement ni la justice. Il faut donc trouver un contre-poids contre les majorités, donner aux intérêts opprimés le droit de se dégager de ceux qui les gênent, « De même que dans la république romaine la puissance des patriciens était bornée par le veto des tribuns, qu’en Pologne la puissance des assemblées était tenue en échec par le veto