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pas l’égal du blanc ; l’esclavage, c’est-à-dire la subordination à une race supérieure, est sa condition naturelle et normale. »

Voilà les principes nouveaux que les confédérés prétendent introduire dans le droit politique, voilà le dogme pour lequel ils combattent ! Ils ne luttent point contre les principes généraux de l’ancienne constitution, puisqu’ils l’ont acceptée telle quelle pour eux-mêmes, sans y faire d’autres changemens importans que ceux que M. Stephens commente avec une si audacieuse netteté. Peut-on dire que le nord et le sud sont deux peuples essentiellement ennemis, et que la lutte actuelle soit quelque chose d’analogue à une lutte de nationalités ? S’il en était ainsi, cette inimitié serait bien soudaine, les inimitiés populaires ne s’épuisent pas sur une seule question, elles pénètrent tout, elles envahissent toutes les manifestations de la vie politique et sociale. Il faut avoir bien peu vécu dans la société américaine pour ignorer qu’avant la guerre les relations mutuelles entre les gens du nord et ceux du sud étaient parfaitement courtoises, et qu’à la condition de ne point toucher à l’irritant sujet de l’esclavage, le citoyen du nord recevait dans les plantations l’accueil le plus hospitalier. Assurément les différends politiques des deux sections avaient envenimé le langage de la presse et de la tribune ; mais on n’avait pas encore réussi à séparer le peuple américain en deux peuples : le commerce, les mariages, l’esprit d’entreprise d’une race active et remuante, avaient noué une multitude de liens entre le nord et le sud ; ils avaient un culte pour les mêmes grands hommes ; leurs églises étaient les mêmes, et ne se sont séparées que depuis le commencement des hostilités. Comparer les sentimens qui les animent aujourd’hui l’un contre l’autre à la haine de la race irlandaise contre la race anglaise, de la Pologne contre la Russie, de l’Italie contre l’Autriche, c’est se montrer bien peu apte à pénétrer les sentimens populaires et à dégager la vérité parmi les exagérations du langage. Où les sécessionistes envoient-ils leurs femmes et leurs enfans pour les mettre à l’abri des éventualités de la guerre servile ? A New-York, à Washington.

Si le sud ne se bat ni pour une organisation politique particulière ni pour faire triompher une nationalité, est-il plus vrai de dire qu’il combat pour la liberté économique ? C’est là, je le sais, la thèse adoptée par tous ceux qui veulent faire croire que la question de l’esclavage est étrangère à la guerre, et par là veulent détourner les sympathies européennes de la cause du nord. Nous sommes arrivés à un moment de l’histoire où l’économie politique paraît vouloir tout absorber. Ce n’était pas un économiste, ce Burke qui disait : « Un état ne doit pas être considéré comme n’étant rien de plus qu’une raison sociale pour le commerce du poivre ou du café, du calicot ou du tabac, ou pour quelque autre bas objet, qu’une association pour