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droit maritime que bon lui semble, imposant aux neutres sa manière d’entendre le droit de visite, le blocus, la contrebande, et cela sans se détourner un instant des affaires de l’Europe, mêlé à tout ce qui s’y passe bien moins par le Hanovre que par la plus vigilante ambition, y choisissant ses alliances du droit qu’on a quand on paie ses alliés, dépensant trois milliards dans la guerre de la succession d’Autriche et quatre milliards dans la guerre de sept ans, laissant dire ses économistes, qui se mettent jusqu’à vingt-deux (sir John Sinclair en a fait le compte dans son Histoire de l’Impôt, pour lui prédire la banqueroute, descendant à tout propos sur le continent, non-seulement sous forme de subsides, mais avec le poids de Marlborough, de Cumberland, de Wellington !… Ces destinées si diverses ont une explication bien simple : c’est qu’en France le gouvernement se faisait absolu et irresponsable, tandis que parmi les Anglais il passait à la nation, de plus en plus libre, maîtresse d’elle-même, représentée enfin.

Jusqu’à la fin du XVIIe siècle, tout s’était balancé entre les deux pays, richesses, colonies, manufactures, grandeur militaire et navale : on peut même dire qu’à ce dernier égard l’avantage était du côté de la France ; mais à partir de cette époque, la fortune des deux peuples fut comme leur liberté. La Grande-Bretagne, purgée des Stuarts, ne cesse de grandir ; la France, visiblement maléficiée, semble perdue de langueur et d’épuisement. Tandis que la Grande-Bretagne, restituée à elle-même, se redressait dans ses proportions naturelles, la France, identifiée à ses rois, n’eut désormais que leur taille, celle de Louis XIV sur sa fin, du régent, de Louis XV. Laissons là leurs vices, qui leur ont été reprochés de reste. Ce n’est pas que leur cynisme, outre leur immoralité, ne soit infiniment répréhensible : il me semble qu’ils auraient bien pu faire quelques façons avec les apparences, qui veulent être sauvées, avec le monde, qui veut être trompé, comme dit le cardinal de Retz. Après tout, un polygame tel que Salomon, un veuf comme Henri VIII peuvent être de grands rois, bâtir des temples, changer la religion, laisser un renom de sagesse et non moins de proverbes que Michel Cervantes. Tout autres furent les souverains auxquels on faisait allusion d’abord : de vrais Mérovingiens, de purs Orientaux pour la fainéantise et le fatalisme, de telle façon qu’au lieu du titan qui eût été nécessaire pour porter le poids de la monarchie alors qu’elle se faisait absolue, la France eut simplement un reste de grand roi et la fin des Bourbons, aussi défaillans, aussi propres à tout perdre que l’étaient les Valois deux siècles auparavant.

La France, douée comme on sait, est le dernier pays qui devrait abdiquer au profit d’un monarque. Comment pourrait-elle trouver