toujours lui montrer à l’appui de ce qu’il fait les formes et les apparences sacrées du juste, c’est-à-dire une loi.
L’instinct divin, le guide immortel, c’est ainsi que Rousseau appelle la conscience, est capable de s’y tromper. Une majorité maîtresse des lois va peut-être croire avec une certaine candeur qu’elle l’est du droit. L’illusion, il faut en convenir, est facile non moins que séduisante et profitable, puisqu’en certains cas bien connus, celui par exemple de l’expropriation ou celui du régime protecteur, l’intérêt du plus grand nombre est admis à prévaloir sur tout autre intérêt, et de l’aveu de tous constitue un droit. Vous me direz que ces cas sont exceptionnels, et que faire de l’exception la règle, c’est faire acte de bouleversement, violer le droit… Allez donc dire cela au plus fort, qui porte en lui, comme législateur, l’organe du droit, comme nombre, un commencement de droit !
Les masses, dans leur idée de progrès, pourraient en concevoir un qui serait un simple déplacement de l’oppression, infligée désormais aux minorités, tandis qu’elle l’était autrefois aux majorités : chose nouvelle assurément et même d’apparence progressive, mais c’est la justice que nous cherchons. Le nombre a cela de terrible qu’il peut se prendre, avec une certaine bonne foi, pour la justice même, ce qui est une dépravation inconnue au règne des anciennes monarchies et oligarchies. Tel bon plaisir tenait lieu de loi, mais après tout n’en était pas une : on brûlait Rome sans ériger l’incendie en droit impérial, ce qui importe au salut de la conscience humaine et lui épargne non-seulement un outrage, mais une ruine.
Je conviens qu’aux États-Unis le nombre est seigneur et maître sans avoir commis de spoliation ; mais attendons la Un. On croit avoir donné déjà quelque explication de ce phénomène. « Il y a des peuples que la nature a magnifiquement traités, les répandant sur une patrie immense et fertile, où les individus naissent en quelque sorte propriétaires. Suumn cuique, leur dit la nature : voilà une équité qui dispose merveilleusement les hommes à être libres et justes… La propriété, diffuse comme elle l’est aux États-Unis, y tranche péremptoirement certaines grandes difficultés qui troublent le continent. Elle y est entre toutes les mains aussi bien que le droit politique, et cela est inestimable, car souveraineté et propriété sont faites l’une pour l’autre. Le souverain devient propriétaire, quand le propriétaire n’est pas le souverain : cette attraction est le fond de toutes les discordes sociales. Aux États-Unis, où le souverain, c’est-à-dire le peuple, le nombre, est propriétaire par la force et la faveur des circonstances, il est clair qu’il n’ira pas abuser de la loi pour conquérir la propriété. Cette république a l’une des bases que Platon voulait pour la sienne, l’universalité, si ce n’est la communauté