Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/233

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le sud de Chypre une commanderie de laquelle dépendait l’entrepôt des vins sucrés. Les réjouissances auxquelles nos vignerons se livrent à l’occasion des vendanges ont lieu en Chypre lors de la plantation de la vigne. La vendange se fait au commencement d’octobre. Après avoir débarrassé les grappes des grains gâtés, on les monte sur les toits plats des maisons ; elles restent ainsi pendant vingt jours, ensuite on les met au pressoir. Au bout d’un an, les paysans portent le vin dans des outres goudronnées à Limassol, où se trouve actuellement l’entrepôt. Le vin de la Commanderie âgé. seulement d’une année a une forte odeur de goudron ; sa couleur tire sur le carmin. Plus tard il s’éclaircit, et, par un singulier retour, en vieillissant il brunit ; en même temps il se sucre et devient extrêmement liquoreux. Comme les Cypriotes n’ont pas de caves, il est très difficile, même dans leur île, de trouver de la vieille Commanderie. Cependant ils ont l’habitude, lorsqu’il leur naît un enfant, d’enterrer une amphore ; on ne la retire qu’à l’époque du mariage. « Le vin de Chypre, disait en 1572 Etienne de Lusignan, est le meilleur de tout le monde… Si on en veult prendre un doigt, il en fault mettre deux d’eau, et aussitôt qu’on l’a beu, on le sent par tout le corps fort en chaleur, et lors apparaist sa bonté. » Les vignobles qui produisent la Commanderie sont assis sur les Monts-Olympes. Si l’on doit contester à ce groupe de montagnes l’honneur d’avoir été une des demeures de Jupiter, du moins on pourrait admettre que le vieux vin de Chypre fut le nectar dont Ganymède remplissait la coupe du maître des dieux ; c’est un vin parfumé, trop capiteux pour des têtes mortelles. Les Cypriotes ne le boivent que dans des verres spéciaux, d’une petitesse extrême.

Les arbres les plus productifs de l’île sont le mûrier, l’olivier et le caroubier. Ce dernier réussit en Chypre mieux qu’en tout autre pays. Son fruit, nommé caroube, fade et sucré, sert d’aliment aux gens du peuple ; les Grecs et les Russes en consomment de grandes quantités dans leurs longs carêmes. Le commerce de cette denrée était déjà considérable au temps des Romains ; ils employaient les caroubes pour peser les substances grossières. L’orge, le blé, le sésame donnent d’abondans produits. La pomme de terre vient difficilement ; on la remplace par la colocasse, plante de la Nouvelle-Hollande inconnue de nos cultivateurs, mais assez répandue dans le Levant.

L’hiver fait fleurir de nombreuses plantes sauvages à oignons ou à griffes, — anémones, renoncules, jacinthes, narcisses, — dont on exporte chaque année de grandes quantités. Ces fleurs durent peu. Après le printemps, vous ne verrez plus que des végétaux au feuillage sec, à la texture coriace : nul brin d’herbe, nulle fleur dont la