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croire en hiver. Les champs où elles passent sont impitoyablement ravagés. Pendant le mois de mai, nous avons rencontré leurs bataillons ; ils étaient si fournis, que nos mules étourdies avaient peine à avancer. On a disserté sur la provenance des sauterelles qui chaque année reparaissent dans l’île. Hasselquitz a prétendu qu’elles s’embarquent sur les bâtimens de Syrie ou d’Égypte. Selon Sonnini, les vents les enlèveraient des déserts d’Arabie et les transporteraient jusque dans les plaines de Chypre. Il est plus naturel de penser que ces insectes naissent sur le sol même de l’île comme les autres animaux. Leur apparition à chaque printemps et leur disparition pendant l’hiver ne doivent pas nous étonner, car en France nous voyons le même phénomène se produire pour les mouches et la plupart des insectes. Lorsque le vent pousse les sauterelles sur le bord de la mer ou d’un marais salant, elles périssent par milliers ; on dit que ces amas d’insectes en putréfaction contribuent fortement à entretenir les miasmes fiévreux. Sans doute, lorsque l’île était plus peuplée, les animaux dangereux étaient en moins grand nombre, et avec quelques soins aujourd’hui encore on pourrait s’en débarrasser en partie. On sait notamment que des bouquets de bois ménagés de distance en distance dans les plaines arrêtent les sauterelles, et que, si on creuse des fossés de quelque profondeur, des bataillons de ces insectes y tombent et y meurent.

Les autres animaux sauvages de l’île sont inoffensifs et souvent même utiles. Des couleuvres noires et grises s’enlacent au pied des arbustes, des lézards et des cinques courent dans les plaines, d’agiles geckos et de paresseux caméléons grimpent aux rochers. Nous avons élevé un de ces derniers ; aucun animal n’est plus doux ; il est étrange à voir avec sa grande bouche, ses petits yeux, qui tournent sans cesse, sa longue queue, au moyen de laquelle il se cramponne. Lorsqu’on le contrarie, il offre le curieux phénomène de changer de couleur. Attirés par les fruits, des milliers d’oiseaux se donnent rendez-vous dans l’île. Les becfigues sont surtout nombreux. On en confit de grandes quantités dans du vin de la Commanderie ; dans cet état, ils donnent lieu à un commerce d’exportation assez considérable. Ce commerce remonte pour le moins au moyen âge, car Lusignan raconte qu’il revint de Chypre sur un bâtiment chargé de quatre-vingt mille becfigues. Sans doute tous ces petits chanteurs à l’élégant plumage ajoutèrent au charme des bosquets d’Idalie, dédiés à Vénus. Lefcara, où l’on prend le plus grand nombre d’oiseaux, n’est pas loin d’Idalie.

Un bel animal sauvage habite les Monts-Olympes, c’est le mouflon. Il est grand de taille ; son port est gracieux, ses yeux ont une douceur extrême ; il est aussi timide que le cerf. Cet animal est désigné