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pied d’un grand arbre qui jetait de l’ombre sur l’herbe fine et veloutée. La mère, éventant son petit avec une queue soyeuse, l’oreille droite, l’œil inquiet jusque dans le repos, semblait prête à bondir comme un cerf au moindre bruit qui aurait pu menacer l’innocente créature. Quelques-uns de ces jeunes chevaux tettent encore ; d’autres se passent déjà, comme disent les Anglais, des soins de leur dame. Ainsi que des enfans dans la cour d’une école, ces derniers se livrent à des jeux et essaient de bonne heure, en se poursuivant les uns les autres, leurs forces pour la course. Leur jolie tête intelligente, la grâce de leurs contours, l’élégance de leurs mouvemens, la symétrie de leurs formes raffinées, leur démarche aristocratique, tout trahit déjà chez eux une noble origine, et dans certains cas une vocation décidée pour le turf. Ou je me trompe fort, ou ces traits héréditaires du cheval pur sang ont beaucoup contribué à fortifier les idées des Anglais sur la hiérarchie de la naissance. Entre les thorough bred et les half bred (chevaux croisés), il y a, disent-ils eux-mêmes, la différence qui existe entre un homme et un gentleman. L’établissement de Middle-Park se compose en tout de plus de cent chevaux. Chaque année a lieu, au, mois de juin, une vente publique de yearlings (poulains d’un an) qui se vendent déjà un prix considérable. L’un d’eux a été acheté en 1860 quinze cents livres sterling par le colonel Towneley.

Jusqu’ici, le poulain est un diamant brut ; il faut maintenant le polir. Quand un jeune cheval pur sang a été reconnu propre pour le turf, on l’envoie à l’école, training establishment. Ce n’est point une petite affaire que de déterminer, sur l’apparence d’un poulain, les qualités qu’il peut avoir pour la course ; les plus habiles s’y trompent souvent, et de telles erreurs deviennent dans certains cas la source des plus cruels mécomptes. Ce vainqueur en herbe du prochain Derby est en effet quelquefois la dernière espérance d’une noble maison, le dragon ailé sur le dos duquel un gentilhomme ruiné espère franchir l’abîme que les pertes du turf ont creusé dans sa fortune. Cette fois c’est le plus souvent vers Newmarket qu’on dirige le jeune élève. Ici s’ouvre pour lui une carrière toute nouvelle. Aux heures libres et oisives du haras succèdent tout à coup la sévère discipline de l’écurie, les soins minutieux de la toilette et bientôt le dur travail sur le champ de manœuvres. La plupart des training establishments sont de véritables industries ; on y reçoit les chevaux en pension pour un prix convenu, et l’on se charge de les dresser à la course. Quelques amateurs qui entretiennent des institutions semblables à leurs propres frais n’ont pourtant point en vue le profit, mais l’honneur, — ou, comme ils disent, le ruban bleu du turf. Le baron de Rothschild par exemple donnerait volontiers