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de sport, Bell’s Life in London, les lignes suivantes : « Nous avons à annoncer la mort d’une célébrité, qui a eu lieu à Croft, près de Darlington, le samedi 20 du présent mois (avril). Elle avait été longtemps souffrante à cause d’un abcès qui l’avait presque réduite à l’état de squelette. Tout l’art de la médecine n’a pu arrêter les progrès de la fatale maladie. Alice Hawthorn (car c’est d’elle qu’il s’agit) avait vingt-trois ans, ses succès appartiennent à l’histoire. Nous n’essaierons pas de la suivre dans sa longue et honorable carrière, mais on se souvient… » J’avais beau recueillir mes souvenirs ; je ne connaissais en Angleterre, dans la littérature ni dans les arts, aucune célébrité du nom d’Alice Hawthorn ; je me hâtai donc d’arriver à la conclusion de l’article qui me donna le nom de l’énigme. « On voit par cette impartiale biographie que la vieille jument, depuis sa carrière sur le turf jusqu’à celle dans les haras, s’est assuré une position éminente parmi les gloires de ce temps-ci. » Quel malheur que les chevaux ne sachent pas lire !

Avec le trainer et le race horse, celui qui contribue le plus au gain de ces grandes victoires du turf qui agitent si fort l’opinion publique chez nos voisins est le jockey. Dans le commencement des courses, cette spécialité n’existait guère, ou du moins n’était point si prédominante qu’aujourd’hui. Plusieurs grands seigneurs montaient eux-mêmes leurs chevaux. La reine Anne, cette froide personne, galopa plus d’une fois dans le champ clos aux courses de Doncaster. Une autre femme, la belle et audacieuse mistress Thornton, femme d’un colonel qui était chef du Jockey-Club et prince du saint-empire, parut très souvent dans les mêmes courses sur un cheval, la bride à la main, un fouet entre les dents et la taille prise dans une tunique couleur de peau de léopard, assez courte pour laisser voir la petitesse de son pied et la richesse de ses jupes brodées. À mesure pourtant que se forma une race spéciale de thorough bred, il fallut une race particulière d’hommes pour les gouverner sur le turf. Aujourd’hui quel betting man ignore que la science du cavalier est pour beaucoup dans les efforts et dans les chances heureuses du coursier qui dispute le prix ? Aussi la valeur d’un cheval s’élève ou descend de plusieurs degrés sur le marché des paris en raison du jockey qui le monte. Quelques sportsmen se plaignent amèrement que la classe des jockeys ait perdu en qualité dans ces derniers temps ce qu’elle a gagné en nombre. Où trouver maintenant, disent-ils, un Buckle, un Samuel Chifney, un William Clift, un Scott, et surtout un Jem Robinson ? Ce dernier, surnommé le prince des jockeys, était considéré, il y a quelques années, comme la main la plus sûre à laquelle on pût confier la fortune d’une course. En 1816, un fin et hardi spéculateur, le célèbre Crockford, qui tenait à Londres une maison de jeu, et qui était dans toute la fleur de sa prospérité,