s’écria Davis, vous en aurez plus tôt besoin que je n’en aurai besoin moi-même. » Il tint parole, et quelque temps après ce même Davis, surnommé le Léviathan des book makers, payait à un lord d’Angleterre la somme énorme de quarante mille livres sterling pour un seul pari. Les faiseurs de livres sont en quelque sorte les caissiers du turf ; ils paient ceux qui gagnent avec l’argent de ceux qui ont perdu. On peut dès lors évaluer l’étendue de leurs ressources et de leurs transactions par les comptes qu’ils acquittent. Un témoin oculaire m’a dit avoir vu Davis, le lendemain des grandes courses, descendre sur le marché, avec une redingote littéralement bourrée de billets de banque qu’il distribuait autour de lui comme des annonces à la main. Il fit une fortune considérable et acheta pour son père et sa mère un bien de 30,000 livres sterling. Il vit retiré à Brighton. Nul aujourd’hui ne saurait lui être comparé parmi les book makers de Londres ; quelques-uns pourtant lui ressemblent par deux côtés ; ils sont partis de très bas et sont arrivés très haut sur le chemin de la richesse. Il y en a qui ont poussé une voiture à bras dans les rues de la Cité. Ces fortunes-champignons, comme disent nos voisins, mushroom fortunes, qui se sont élevées en une nuit, Dieu sait dans quelle crypte et sur quel fumier, exercent une sorte de fascination irrésistible sur certaines natures aventureuses. Un ouvrier broyait des couleurs chez un marchand des environs de Londres, lorsqu’un beau matin il disparut de la boutique et ne rentra le soir que fort tard : c’était le jour du Derby. Le maître lui en fit des reproches et ajouta qu’il ne pouvait garder chez lui un ouvrier aussi indiscipliné. « Qu’à cela ne tienne ! répondit l’autre : j’ai gagné aujourd’hui dans quelques heures plus que je ne gagne chez vous durant toute l’année. » Cette déclaration piqua la curiosité du maître qui, ayant tout appris, ne songea plus à blâmer son ouvrier, mais eut au contraire l’idée de s’associer avec lui pour trouver le chemin de cette Californie facile à atteindre. Tous les deux devinrent book makers.
Sans se contenter des gains du jeu, qui à la rigueur peuvent passer pour légitimes, en ce sens qu’ils sont tolérés par la loi, quelques book makers auraient, dit-on, fait fortune en ayant recours à des pratiques tout à fait condamnables. Je n’en signalerai qu’une : on les accuse d’avoir, dans certains cas, acheté le cheval qui réunissait le plus de chances, ou d’avoir agi par des raisons solides sur la volonté du propriétaire, pour que le nom de ce même cheval fût rayé, ou, comme on dit, égratigné du programme à la veille des courses. Cette pratique illicite, qui a même un nom en anglais, milking (traire), laissait par là entre les mains des book makers toutes les sommes qui avaient été pariées sur la tête du favori. On flétrit de l’épithète de blacklegs (jambes noires) les hommes qui se livrent