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seulement et à titre d’essai, la législation de 1832 n’en a pas moins été maintenue jusqu’au commencement de la présente année.

En 1834, M. Duchâtel étant ministre, le gouvernement prend à tâche de résoudre un problème qu’il a sans doute formulé ainsi : « chercher le point ou la prohibition pourrait être supprimée, tout en conservant à l’industrie une protection assez efficace pour ne pas jeter l’alarme et la désunion au sein des majorités parlementaires. » On se flatte d’éclairer doucement les esprits et de trouver un point d’appui dans l’opinion, en ouvrant une grande enquête à la manière anglaise. À cette annonce, une sorte de coalition s’ourdit instinctivement. Les chambres de commerce font entendre un concert de doléances. Les plus modérées sont celles qui veulent bien admettre une réforme lentement progressive ; mais à Rouen, Lille, Amiens, Saint-Quentin, Reims, Mulhouse, les chambres officielles et les comités particuliers protestent énergiquement contre toute modification au régime en vigueur. On intimide le pouvoir en affirmant que la réduction du travail national, amoindrissant le prix de la main-d’œuvre, aurait pour effet d’augmenter l’effervescence déjà trop redoutable de la classe ouvrière. La chambre de Roubaix ose terminer son manifeste par ces mots : « Souvenez-vous surtout qu’un salaire abaissé a deux fois soulevé Lyon ! » L’enquête est commencée sous cette impression de crainte. À propos des fers et des charbons, des tissus et des poteries, on interroge seulement des maîtres de forges et des propriétaires de mines, des filateurs et des faïenciers. Ceux-ci répondent presque généralement par des données statistiques présentées de manière à démontrer que l’industrie française s’exerce dans des conditions d’infériorité, et qu’elle doit rester sur la défensive, humblement repliée sur elle-même.

Un honorable ingénieur racontait, il y a peu de jours, qu’ayant été appelé par un filateur des environs de Rouen, décédé aujourd’hui, celui-ci le conduisit dans une chambre basse et dégradée où se trouvait un vieux métier hors de service. « C’est dans cette pièce, dit-il, que j’ai commencé mon établissement. Ce métier était le seul que j’eusse alors. Je le manœuvrais moi-même et je couchais à côté sur un matelas. Aujourd’hui j’ai quatorze fabriques, et il y en a dont l’installation m’a coûté plusieurs millions. » Tout en faisant une large part au mérite personnel de ce fabricant et aux circonstances qui l’ont pu favoriser, on avouera que notre système douanier a dû être pour quelque chose dans sa fortune. Il m’a semblé curieux de rechercher quelle avait été sa contenance dans l’enquête de 1834. Cette question lui est posée : « Pensez-vous que la prohibition puisse être remplacée par un droit calculé de manière à protéger notre industrie contre la concurrence étrangère ? » Voici la réponse : « Je