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III

Au XVIIIe siècle, on aimait sans doute très peu les miracles, mais chacun avait soif de merveilles. Nulle génération n’a été en ce genre plus crédule. On s’en est pris à la philosophie, et l’on s’est à ce propos passablement moqué des philosophes. Les moqueurs ne sont pas tout à fait justes, et la curiosité, l’intérêt, la confiance qui accueillaient les prodiges nouveaux n’avaient pas pour origine un défaut ou une faiblesse. On ne trouve là ni l’ignorance superstitieuse des peuples jeunes ni la superstition sotte des nations en déclin. Au contraire nos pères aimaient à examiner et à réfléchir ; mais, s’ils étaient assez intelligens pour regarder, s’étonner et s’intéresser, ils n’étaient pas assez savans pour expliquer. Plus tôt, les apparitions, les prédictions, la magie, semblaient choses si simples qu’on ne s’en inquiétait guère, et la puissance merveilleuse des sorciers était naturelle. Plus tard, une science plus parfaite doit tenter de tout rapporter aux lois générales. Alors on était simplement curieux, et tout homme annonçant un fait inconnu, une doctrine nouvelle, était assuré d’exciter la curiosité, et, s’il était un peu charlatan, de faire fortune ; mais les vrais charlatans sceptiques sont très rares, tandis que l’esprit faux, les illusions et l’orgueil ne le sont point, et l’on observe le singulier mélange de la bonne foi et de la duplicité chez tous les magiciens du dernier siècle, comme chez ceux que nous avons pu voir.

L’année même où Voltaire venait mourir à Paris, Mesmer y faisait son entrée, destiné à une gloire moins solide, mais plus turbulente. Lui-même ne dédaignait pas d’insister sur cette coïncidence et de répéter que leur vie à tous deux n’avait été qu’un long combat. Ce n’étaient pas les prétentions qui lui faisaient faute, ni comme homme ni comme magnétiseur : l’une des plus grandes et des plus singulières était de se représenter comme un inventeur malheureux et méconnu. Il n’a rien inventé, il a mené l’existence la plus joyeuse, a été illustre et est resté célèbre au-delà du tombeau. Peu de succès ont été plus rapides et moins mérités. Il est vrai qu’il a soutenu contre la Faculté de médecine une lutte que ses successeurs continuent aujourd’hui, après quatre-vingts ans de rapports, de commissions, de décisions, d’expériences et de requêtes ; mais les facultés et les académies semblaient alors infestées de l’esprit rétrograde : lutter avec elles était en toute chose d’une tactique habile, et la popularité de Mesmer ne souffrait point de leur hostilité. Il eût souhaité sans doute que leur indifférence tout au moins fût éternelle, s’il avait prévu quelle explication simple elles donneraient un jour de ses expériences, avec quelle facilité elles devaient admettre un