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enivrantes, les chansons des oiseaux, les nids pendus aux branches. L’appartement villageois n’a au contraire que de discrètes et chastes influences. Les gens de la maison le traversent à toute minute ; la fenêtre est basse, et l’œil du voisin peut venir s’y appliquer à chaque instant. Et quelle jeune fille oserait oublier ses devoirs en présence de ces pieux souvenirs et de ces saintes images dont sont tapissés tous les murs, et qui lui rappellent un autre amour sans trouble et sans amertume, amour qui naguère remplissait encore tout son cœur ? Il n’est pas jusqu’aux meubles et aux ustensiles du ménage, témoins des vertus des vieux païens, qui ne prennent alors en quelque sorte une voix pour conseiller la retenue et l’honnêteté. Gaspard fut fort étonné de ce changement subit, dont les causes lui étaient entièrement inconnues. Il s’efforça par tous les moyens de détourner Cyprienne de cette nouvelle voie, trop morale pour lui. Voyant qu’elle ne l’écoutait point, il se décida à se réformer lui-même ou au moins à s’en donner l’apparence. Il paya quelques dettes criardes, fréquenta moins certains garçons du village, alla moins souvent au cabaret. Il essaya de renoncer à la chasse et à la pêche ; mais c’était là une résolution bien difficile à exécuter. Durant une semaine, il réussit à s’abstenir, et déjà il se félicitait de cette victoire remportée sur ses habitudes, quand un soir, au moment même où il allait se coucher, deux habitans du village vinrent frapper à-sa fenêtre.

— Apprête-toi, lui dit l’un d’eux, nous descendons au Lison.

— Est-ce que je vous empêche d’y descendre ? répondit Gaspard avec humeur. Ne connaissez-vous pas les chemins ?

— Plaisantes-tu ? Les Fontanet sont tous à Dôle ; le garde est allé à la noce. Tout le gour est à nous. C’est toi qui as organisé la partie ; vas-tu reculer maintenant ? Allons, dépêche-toi !

Entre Nans et Sarraz, le Lison traverse un parc où il forme un gour long d’un quart de lieue, ou peu s’en faut. Cette partie de la rivière est très peu pêchée, et seulement pour les besoins de la table des propriétaires du parc. Aussi le poisson y foisonne-t-il ; c’est là que se prennent les plus belles pièces du Lison ; Gaspard avait su quelque temps auparavant que le garde de Mme Fontanet, propriétaire du parc, devait assister au mariage d’une de ses parentes, domiciliée à dix lieues de Nans, et le braconnier avait alors averti ses deux camarades de tenir leurs engins prêts pour descendre à la rivière au premier signal. Ils venaient maintenant à leur tour lui dire que le moment était arrivé. Malgré toutes leurs instances, Gaspard persévéra dans son refus, et ils se dirigèrent vers le gour, non sans maugréer contre lui. Le jeune homme se coucha, mais il ne put dormir. Il voyait la rivière et les filets pleins de poissons, et il n’était pas là ! Il se leva et ouvrit sa fenêtre. Le vent du sud soufflait ; or, dit le