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hommes, et ne diffèrent que par le degré de puissance créatrice des natures moins heureuses qui ne peuvent que les admirer. Tout cela est d’une analyse aussi vraie qu’ingénieuse, et tout cela est décrit dans un langage qui, par la souplesse, l’élégance, les nuances délicates, les touches légères et bien ménagées, s’égale à toutes les richesses du sujet.

Je signalerai du même coup à l’attention des connaisseurs une suite de chapitres pleins d’observation et d’agrément où l’auteur compare le beau avec le charmant ou le joli, puis avec le sublime, ce qui l’amène, par un contraste heureux et piquant, à traiter du laid et du ridicule. Ce sont là peut-être les portions les plus accomplies du livre de M. Lévêque, celles du moins qui seront goûtées sans réserve par les lecteurs les plus difficiles, parce que, ne tenant pas trop aux théories particulières de l’auteur, elles peuvent être aisément détachées. J’avoue maintenant que quand l’auteur quitte ces questions psychologiques où son rare talent d’observation se déploie, quand il spécule sur l’essence du beau et devient systématique, je commence, non sans regret, à me défier un peu de lui.

Pour aller au fait, je ne puis souscrire à sa théorie des huit caractères essentiels de la beauté. Aristote en avait signalé deux : l’ordre et la grandeur. Dans ces derniers temps, Jouffroy y ajoutait eu première ligne la force ou la vie. Ces trois caractères ne suffisent pas à notre subtil et ingénieux auteur. Il lui en faut huit, pas un de moins. Ceci, dit-il fort bien, est une question qui ne peut se trancher que par l’observation. Soit ; suivons M. Lévêque, grand amateur de fleurs, qui nous invite à descendre dans son jardin, et à analyser avec lui un beau lis. Que de choses dans un lis ! L’auteur nous y montre d’abord ce qu’il appelle la pleine grandeur des formes, puis l’unité, puis la variété, l’harmonie, la proportion. Est-ce tout ? Non, il y a encore, je me sers des formules de l’auteur, la vivacité normale de la couleur, la grâce et la convenance.

Avec un peu de bonne volonté ? on pourrait accorder à l’auteur que tout cela est dans un beau lis, comme aussi dans une belle rose ou dans un beau peuplier ; mais à peine l’auteur a-t-il saisi ces huit caractères qu’il se hâte de les généraliser, et de soutenir que ce sont là les élémens intégrans et nécessaires de toute beauté. Plein d’une confiance intrépide dans sa théorie, il se porte à lui-même le défi de retrouver les huit traits de beauté de son lis dans quelque bel objet de la nature ou de l’art qu’on veuille lui assigner. Quand on fait de ces gageures avec soi-même, il est entendu qu’on les gagne toujours. L’auteur choisit, comme au hasard, trois objets d’une beauté différente, un bel enfant qui joue avec sa mère, tel que le bambino santo de la Belle Jardinière de Raphaël, puis une belle