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n’est qu’une révolution morale. Devant cette grande émotion, métaphysique et théologie, cérémonies et discipline, tout s’efface ou se subordonne, et le christianisme n’est plus que la purification du cœur. Regardez maintenant ces gens vêtus de brun qui nasillent le dimanche autour d’une boîte de bois noir, pendant qu’un homme en rabat, a avec l’air d’un Caton, » marmotte un psaume. N’y a-t-il rien dans leur cœur que des « billevesées » théologiques ou des phrases machinales ? Il y a un grand sentiment, la vénération. Ce temple nu des dissidens, cet office réduit, cette église simple des anglicans, les laissent tout entiers à l’impression de ce qu’ils lisent et de ce qu’ils entendent, car ils entendent et ils lisent ; la prière faite en langue vulgaire, les psaumes traduits en langue vulgaire, peuvent entrer à travers leurs sens jusqu’à leur âme. Ils y entrent, soyez-en sûr, et c’est pour cela qu’ils ont l’air si recueilli, car la race est par nature capable d’émotions profondes, disposée par la véhémence de son imagination à comprendre le grandiose et le tragique. Et cette Bible, qui est à leurs yeux la propre parole du Dieu éternel, leur en fournit. Je sais bien que pour Voltaire elle n’est qu’emphatique, décousue et ridicule ; les sentimens dont elle est pleine sont hors de proportion avec les sentimens français. Ici, les auditeurs sont au niveau de son énergie et de sa rudesse. Les cris d’angoisse ou d’admiration de l’Hébreu solitaire, les transports, les éclats imprévus de passion sublime, la soif de la justice, les angoisses, le grondement des tonnerres, et des justices de Dieu, viennent, à travers trente siècles, remuer ces âmes bibliques. Et leurs autres livres y aident. Ce Prayer book qui se transmet par héritage avec la vieille bible de famille fait entendre à tous, au plus lourd paysan, à l’ouvrier des mines, l’accent solennel de la prière vraie. La poésie naissante et la religion renaissante au XVIe siècle y ont imprimé leur gravité magnifique, et l’on y sent palpiter, comme dans Milton lui-même, la double inspiration qui alors souleva l’homme hors de lui-même, et le porta frémissant jusqu’au ciel. Les genoux plient quand on l’écoute. Cette confession de foi, ces collects prononcés pendant la maladie, devant le lit des mourans, en cas de malheur public et de deuil privé, ces hautes sentences d’une éloquence passionnée et soutenue, emportent l’homme dans je ne sais quel monde inconnu et auguste. Que de beaux gentilshommes bâillent, se moquent, et réussissent à ne pas comprendre : je suis sûr que, parmi les autres, beaucoup sont troublés. L’idée de la mort obscure et de l’océan infini où va descendre la pauvre âme fragile, la pensée de cette justice invisible, partout présente, partout prévoyante, sur laquelle s’appuie l’apparence changeante des choses visibles, les illuminent d’éclairs inattendus. Le monde corporel et ses