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non littéraire ; le discours est efficace, non oratoire ; il ne donne point un plaisir, il conduit vers une action.

Dans cette grande manufacture de morale, où chaque métier tourne aussi régulièrement que son voisin avec un bruit monotone, on en distingue deux qui résonnent plus haut et mieux que les autres, Barrow et South : non pas que la lourdeur leur manque ; Barrow avait toute apparence d’un cuistre de collège, et s’habillait si mal qu’un jour, prêchant à Londres devant un auditoire qui ne le connaissait pas, il vit la congrégation presque entière quitter l’église à l’instant. Il expliquait le mot εύχαριστεϊν en chaire avec tous les agrémens d’un dictionnaire, commentant, traduisant, divisant et subdivisant comme le plus hérissé des scoliastes, ne se souciant pas plus du public que de lui-même, si bien qu’une fois ayant parlé trois heures et demie devant le lord-maire, il répondit à ceux qui lui demandaient s’il n’était pas fatigué : « Oui, en effet, je commençais à être las d’être debout si longtemps. » Mais le cœur et l’esprit étaient si pleins et si riches que ses défauts se tournaient en puissance. Il eut une méthode et une clarté de géomètre[1], une fécondité inépuisable, une impétuosité et une ténacité de logique extraordinaires, écrivant le même sermon trois et quatre fois de suite, insatiable dans son besoin d’expliquer et de prouver, obstinément enfoncé dans sa pensée déjà regorgeante, avec une minutie de divisions, une exactitude de liaisons, une surabondance d’explications si étonnantes que l’attention de l’auditeur à la fin défaille, et que pourtant l’esprit tourne avec l’énorme machine, emporté et ployé comme par le poids roulant d’un laminoir.

Écoutez ses discours sur l’amour de Dieu et du prochain. On n’a jamais vu en Angleterre une plus copieuse et une plus véhémente analyse, une si pénétrante et si infatigable décomposition d’une idée en toutes ses parties, une logique plus puissante, qui enserre plus rigoureusement dans un réseau unique tous les fils d’un même sujet.


« Quoiqu’il ne puisse arriver à Dieu ni bien ni avantage qui augmente sa félicité naturelle et inaltérable, ni mal ou dommage qui la diminue (car il ne peut être réellement plus ou moins riche, ou glorieux, ou heureux qu’il ne l’est, et nos désirs ou nos craintes, nos puissances ou nos peines, nos projets ou nos efforts n’y peuvent rien et n’y contribuent en rien), cependant il a déclaré qu’il y a certains objets et intérêts que par pure bonté et condescendance il affectionne et poursuit comme les siens propres, et comme si effectivement il recevait un avantage de leur bon succès ou souffrait un tort de leur mauvaise issue ; qu’il désire sérieusement certaines choses et s’en réjouit grandement, qu’il désapprouve certaines autres choses et en est grièvement offensé, par exemple qu’il porte une affection

  1. Il était mathématicien du premier ordre, et avait cédé sa chaire à Newton.