Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/55

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
51
LE DRAC.

BERNARD.

Francine, est-ce que tu aurais vu mon double aujourd’hui ?

FRANCINE.

Oui, je l’ai vu !

BERNARD.

Où ça ?

FRANCINE.

Ici, et c’est lui qui est cause de tout, j’en suis sûre, car, vois-tu, je ne peux pas douter de toi après les sermens que tu viens de me faire, et j’aime mieux croire des choses que je n’avais jamais voulu croire ! Ah ! Bernard, toi aussi, tu as vu un mauvais esprit qui t’a trompé, car je n’ai jamais aimé et je n’aimerai jamais que toi !

BERNARD.

Francine, ma chère Francine !… Ah ! tu dis la vérité, oui, je te crois, et à cette heure je veux bien mourir !

FRANCINE.

Mourir ? Pourquoi donc, mon Dieu ?

BERNARD.

Tu ne sais donc pas que, lorsqu’on voit son double, c’est signe de mort dans les vingt-quatre heures.

FRANCINE.

Mais faut qu’on le voie soi-même, et tu ne l’as pas vu ? Dis, Bernard, tu ne l’as jamais vu ?

BERNARD.

Non ; mais si j’allais le voir !

FRANCINE, vivement.

Reste pas ici. S’il revenait !

BERNARD.

Oh ! quand ces choses-là paraissent, il n’y a ni terre ni mer pour les empêcher !

FRANCINE.

Si fait ! y a la maison du bon Dieu. Va, Bernard, va vite !

BERNARD.

Où donc ? A la petite chapelle ? Je voulais y aller tout à l’heure, mais j’avais pas le cœur à prier.

FRANCINE.

Faut y retourner. C’est la bonne dame de la mer, c’est la patronne chérie aux marins de l’endroit. Tu lui feras un vœu.

BERNARD.

Quel vœu ?

FRANCINE.

Le vœu de pardonner au premier méchant qui te fera offense et dommage.