Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/563

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

roue dans la machine. » Par-dessus tant de dons, il avait une de ces imaginations fécondantes et précises qui croient que la connaissance achevée est une vue intérieure, qui ne quittent point un sujet sans l’avoir revêtu de ses couleurs et de ses formes, et qui, traversant les statistiques et le fatras des documens arides, recomposent et ressuscitent devant les yeux du lecteur un pays lointain et une nation étrangère avec ses monumens, ses costumes, ses paysages et tout le détail mouvant des physionomies et des mœurs. À toutes ces puissances d’esprit qui font le systématique, il ajoutait toutes les énergies du cœur qui font l’enthousiaste. Pauvre, inconnu, ayant dépensé sa jeunesse à compiler pour les libraires, il était parvenu à force de travail et de mérite, avec une réputation pure et une conscience intacte, sans que les épreuves de sa vie obscure ou les séductions de sa vie brillante eussent entamé son indépendance ou terni la fleur de sa loyauté. Il apportait dans la politique une horreur du crime, une vivacité et une sincérité de conscience, une humanité, une sensibilité, qui ne semblent convenir qu’à un jeune homme. Il appuyait la société humaine sur des maximes de morale, réclamait pour les sentimens nobles la conduite des affaires, et semblait avoir pris à tâche de relever et d’autoriser tout ce qu’il y a de généreux dans le cœur humain. Il avait noblement combattu pour de nobles causes, contre les attentats du pouvoir en Angleterre, contre les attentats du peuple en France, contre les attentats des particuliers dans l’Inde. Il avait défendu avec des recherches immenses et un désintéressement incontesté les Hindous tyrannisés par l’avidité anglaise, et « ces derniers misérables cultivateurs qui survivaient attachés au sol, le dos écorché par le fermier, puis une seconde fois mis à vif par le cessionnaire, livrés à une succession de despotismes que leur brièveté rendait plus rapaces, et lancés ainsi de verges en verges, tant qu’on leur trouvait une dernière goutte de sang pour leur extorquer un dernier grain de riz. » Il s’était fait partout le champion d’un principe et le persécuteur d’un vice, et on le voyait lancer à l’attaque toutes les forces de son étonnant savoir, de sa haute raison, de son style splendide avec l’ardeur infatigable et intempérante d’un moraliste et d’un chevalier.

Ne le lisez que par grandes masses ; ce n’est qu’ainsi qu’il est grand : autrement l’outré, le commun, le bizarre, vous arrêteront et vous choqueront ; mais si vous vous livrez à lui, vous serez emporté et entraîné. La masse énorme des documens roule impétueusement dans un courant d’éloquence. Quelquefois le discours parlé ou écrit n’a pas trop d’un volume pour déployer le cortège de ses preuves multipliées et de ses courageuses colères. C’est l’exposé de, toute une administration, c’est l’histoire entière de l’Inde anglaise,