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religion. Nous estimons qu’il n’y a pas de société sans croyances ; nous dérivons la justice de son origine sacrée, et nous sentons qu’en tarissant sa source on dessèche tout le ruisseau. Nous avons rejeté comme un venin l’infidélité qui a sali les commencemens de notre siècle et du vôtre, et nous nous en sommes purgés pendant que vous vous en êtes imbus. « Aucun des hommes nés chez nous depuis quarante ans n’a lu un mot de Collins, Toland, Tindal et de tout ce troupeau qui prenait le nom de libres penseurs. L’athéisme n’est pas seulement contre notre raison, il est encore contre nos instincts. Nous sommes protestans, non par indifférence, mais par zèle. L’église et l’état sont dans nos esprits deux idées inséparables. » Nous asseyons notre établissement sur le sentiment du droit, et le sentiment du droit sur le respect de Dieu.

À la place du droit et de Dieu, qui reconnaissez-vous pour maître ? Le peuple souverain, c’est-à-dire l’arbitraire changeant de la majorité comptée par têtes. Nous nions que le plus grand nombre ait le droit de défaire une constitution. « La constitution d’un pays une fois établie par un contrat tacite ou exprimé, il n’y a pas de pouvoir existant qui puisse l’altérer sans violer le contrat, à moins que ce ne soit du consentement de toutes les parties. » Nous nions que le plus grand nombre ait le droit de faire une constitution ; il faudrait que d’abord l’unanimité eût conféré ce droit au plus grand nombre. Nous nions que la force brutale soit l’autorité légitime, et que la populace soit la nation. « Une véritable aristocratie naturelle n’est point dans l’état un intérêt séparé ni séparable. Quand de grandes multitudes agissent ensemble sous cette discipline de la nature, je reconnais le peuple ; mais, si vous séparez l’espèce vulgaire des hommes de leurs chefs naturels pour les ranger en bataille contre leurs chefs naturels, je ne reconnais plus le corps vénérable que vous appelez le peuple dans ce troupeau débandé de déserteurs et de vagabonds. » Nous détestons de toute notre haine le droit de tyrannie que vous leur donnez sur les autres, et nous détestons encore davantage le droit d’insurrection que vous leur livrez contre eux-mêmes. Nous croyons qu’une constitution est un dépôt transmis à la génération présente par les générations passées pour être remis aux générations futures, et que si une génération peut en disposer comme de son bien, elle doit aussi le respecter comme le bien d’autrui. Nous estimons que si un réformateur « porte la main sur les fautes de l’état, ce doit être comme sur les blessures d’un père, avec une vénération pieuse et une sollicitude tremblante… Par votre facilité désordonnée à changer l’état aussi souvent, aussi profondément, en autant de manières qu’il y a de caprices et de modes flottantes, la continuité et la chaîne entière de la communauté seront rompues.