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espèces de légendes dans lesquelles figurent les nombreux génies dont la tradition populaire a peuplé les montagnes et les forêts de leurs îles. L’aventurier, qui avait lu les Mille et Une Nuits qui en avait retenu quelques épisodes, acquit une grande réputation en les racontant, et se vit généreusement récompensé. Ayant réussi à se familiariser avec la langue des indigènes, il transportait dans le dialecte vitien, tant bien que mal, les contes arabes. Aladin ou la Lampe merveilleuse, disait-il, lui avait valu deux cochons gras du prix d’au moins huit dollars, et les Quarante Voleurs n’avaient pas obtenu un moindre succès. Ce Danford était ainsi devenu un personnage de quelque importance : son protecteur lui avait donné des femmes, des champs de taros et d’ignames. Ses fonctions, outre celles d’amuseur du chef, consistaient dans l’entretien des mousquets de la tribu. De plus, comme il avait passé quelques mois, dans sa jeunesse, chez un pharmacien, il se chargeait souvent de soigner les sauvages. Sous le rapport moral, il laissait beaucoup à désirer, mais il était intelligent et usait assez libéralement pour ses compatriotes de l’influence qu’il avait acquise sur le chef.

Pour pénétrer dans l’intérieur, les Européens remontèrent le Nawua sur un canot. Le paysage autour de la petite rivière était charmant : sur une rive, des bois de cocotiers ; sur l’autre, des rochers escarpés, hauts souvent de sept ou huit cents pieds. Toute cette contrée est riche et bien cultivée ; l’industrie agricole des naturels est vraiment remarquable. Ils parviennent, à l’aide d’instrumens encore très primitifs, à former de petits carrés en terrasses, tous de niveau, entre lesquels ils font circuler l’eau dérivée de la rivière, par des canaux bien distribués qui baignent partout les racines du taro. Pour la culture de l’igname, ils creusent des trous assez espacés sur la surface du sol, et y déposent à la fois deux ignames, qui rapportent ordinairement quatre fois la semence. Les tiges sont relevées avec soin sur des pieux fichés en terre. Il faut de sept à huit mois pour que la récolte arrive à maturité.

En certains endroits, le petit fleuve était interrompu par des chutes quelquefois très raides ; l’eau était basse à cause de la saison, et il fallait une grande dextérité aux conducteurs des canots pour franchir les obstacles. À plusieurs reprises, on fut obligé de tirer la flottille avec des câbles ; un canot chargé de bagages coula dans un passage difficile. On arriva ainsi devant Nagadi, village bâti sur le sommet d’une colline. Les flancs du monticule servent de cimetière. Les Vitiens ont pour leurs morts un grand respect : ils creusent dans le roc des chambres sépulcrales où les corps sont couchés sur le dos, la tête tournée vers l’ouest. Il y a dans cette localité, comme dans toutes les plus importantes de l’archipel, un lieu appelé le