Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/586

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

roi dit quelques mots signifiant que le kava est versé, et le roi répond par le nom de la personne à qui il veut que le vase soit offert. L’ordre dans lequel les noms viennent dans la bouche royale indique le degré d’honneur et de faveur dans lequel chacun est auprès du chef. Quand il y a des étrangers, c’est à eux que les premiers vases sont présentés ; mais il est rare que des Européens acceptent un liquide préparé d’une façon si révoltante pour leur goût.

Nagadi, dont la population n’est pas encore chrétienne, a un temple indigène. C’est une construction de vingt-cinq pieds de long sur quinze de large, entourée d’une haie de bambous. Dans un coin, un espace isolé par une rangée de roseaux forme l’autel du génie qu’on y adore ; mais il n’y a pas d’idole. Des racines de kava, des feuilles, des branchages pendent du toit. Le prêtre avec sa famille habite cette hutte. Dans les cérémonies religieuses, il tire quelques sons d’une rangée de bambous creux et inégaux. Un des visiteurs lui fit cadeau d’une trompette qui faisait autrement de bruit, ce qui lui causa une grande joie.

La religion indigène des Vitiens, qui, sur certains points de l’archipel, s’efface en ce moment devant les conquêtes du christianisme, présente des caractères assez indécis ; elle n’est pas l’idolâtrie, car on ne lui connaît pas d’images figurées. Admet-elle un être supérieur ? C’est ce qu’il est assez difficile de décider. Le culte ne s’adresse guère qu’à des génies variables suivant les localités, et qui souvent paraissent se confondre dans les idées des indigènes avec les esprits des morts. Ces génies se rattachent aussi quelquefois par des traditions et des fables à des phénomènes naturels. Ainsi, à l’entrée du Ndaveta, canal qui unit la côte près de Mbau à la Rewa, se trouve un immense bloc de corail, de la forme d’un rayon de miel, miné par l’eau et les variations de l’atmosphère, perforé en tous sens par des insectes, fendu par une large fissure verticale, couvert d’une maigre végétation et couronné par deux cocotiers rabougris. Les indigènes racontent que le puissant génie Ndengei envoya les génies nocturnes inférieurs Lando Aleva et Lando Tangane pour fermer le canal Ndaveta. Ceux-ci n’eurent pas le temps de terminer leur ouvrage dans la nuit ; surpris par les premiers rayons du jour, ils furent changés en cette masse de corail que depuis on a appelée Vaka Tangka ni sai-sai, ce qui veut dire la place où l’on dépose les outils de pêche, parce que Rambeuli, autre génie, y déposa son sni-saiy sorte de harpon, en remontant au ciel après s’être livré à la pêche, son occupation favorite. Ce Rambeuli est la terreur des marins ; son nom signifie littéralement « le briseur de rames, » et c’est à lui qu’on attribue les accidens qui frappent les pirogues.

Il n’y a guère de localités de quelque importance où l’on ne trouve