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Roches-Rouges (Saxa Rubra)[1], nom que devait immortaliser la victoire de Constantin sur Maxence ; mais le succès du consul, qui fut pour les Fabius une diversion utile, ne les sauva pas. Suivant la tradition la plus accréditée, ils furent attirés par les Véiens dans une embuscade, et y périrent tous. Ceux-ci les avaient tentés par l’appât du butin. Les Fabius virent dans la campagne un grand nombre de bœufs semblables aux troupeaux de vaccine qu’on y voit encore aujourd’hui. Ces troupeaux n’étaient point gardés ; la garnison du fort devait désirer une telle capture, car elle avait au moins quatre ou cinq mille bouches à nourrir ; elle voulut enlever le troupeau. Attirés assez loin de la Cremera dans une embuscade, les Fabius furent surpris, entourés par des forces supérieures et massacrés jusqu’au dernier. Selon Tite-Live, ils succombèrent sur une colline qu’ils étaient parvenus à gagner en se faisant jour à travers l’ennemi. Selon Denys d’Halicarnasse, une portion de la petite armée était restée dans le fort pour le garder, ce qui est plus conforme à la vraisemblance ; l’autre s’était réfugiée sur une colline escarpée, peut-être sur le sommet à pic du côté de la vallée où est la ferme appelée la Vaccareccia. Ceux-ci furent exterminés les derniers après une résistance désespérée, racontée par Denys d’Halicarnasse avec des détails épiques qui encore cette fois semblent empruntés à un ancien chant. « Ils combattirent depuis l’aurore jusqu’au soir. Les ennemis tués par leurs mains formaient des monceaux de cadavres qui les empêchaient de passer… » On les somme de se rendre, mais ils préfèrent mourir. « Les Volsques leur lançaient de loin des traits et des pierres, n’osant plus les approcher. La multitude des traits ressemblait à une neige épaisse. Les Fabius, leurs épées émoussées à force de frapper, leurs boucliers brisés, combattaient encore, arrachant les glaives des mains de l’ennemi, et se précipitant sur lui comme des bêtes sauvages. » Ce n’est pas Denys d’Halicarnasse qui eût trouvé ces traits-là.

Le consul Menenius n’était guère qu’à une lieue du point où s’accomplit le désastre des Fabius ; il fut soupçonné de les avoir laissé écraser. La mort leur rendit leur popularité, et plus tard Menenius fut condamné pour avoir abandonné à la destruction cette race hautaine, mais vaillante et généreuse, qui avait fini par se laisser toucher des misères plébéiennes, et dont le dévouement superbe avait fait oublier tout le reste. Après avoir livré les Fabius, Menenius se fit battre par leurs vainqueurs. Il avait placé sottement son camp à mi-côte sur les collines qui dominent le Tibre. Les Véiens, venus par l’autre côté de la montagne, y prirent position au-dessus de sa tête. Il reconnut sa faute, mais ne fit rien pour la réparer. L’ennemi fondit

  1. Ainsi nommées à cause des rochers de tuf volcanique rougeâtre que les géologues ont signalés.