Je ne voudrais médire ni de la politique ni de la controverse : ce sont deux nobles sujets d’étude pour l’esprit humain, et toutes deux ont produit de beaux livres ; mais, si Platon a banni les poètes de sa république en les couronnant de fleurs, je crois que la poésie, — et sous ce mot je comprendrai tout ce qui est œuvre d’imagination, — a bien le droit d’user de représailles. Un grand écrivain, qui, malheureusement pour sa gloire, n’a pas toujours joint l’exemple au précepte, Voltaire, a dit, dans cette langue allégorique familière au XVIIIe siècle :
- Les Muses, filles du ciel,
- Sont des sœurs sans jalousie :
- Elles vivent d’ambroisie,
- Et non d’absinthe et de fiel.
Bannissons donc du domaine de l’art, du roman aussi bien que de la tragédie ou du drame, l’absinthe et le fiel, c’est-à-dire l’amertume et l’âpreté des luttes contemporaines, les violences et les injustices de l’esprit de parti ; ne laissons arriver aucun écho des passions du jour dans les régions sereines où l’écrivain doit chercher l’inspiration. Un auteur ne saurait déroger à cette loi sans compromettre le mérite de son œuvre et l’avenir de son nom. Si les chefs-d’œuvre de l’art ont ce privilège de conserver à travers les âges et sous tous les cieux une éternelle jeunesse, c’est à la condition que rien de périssable ne leur aura communiqué sa fragilité. Un seul fil