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dans ce qu’elle a de plus étendu et de plus imprévu ! Ainsi a grandi cette Italie renaissante, dont les premières protestations éclataient dès 1815, et qui depuis n’a cessé de compter les années par les commotions intérieures, par les progrès du sentiment national, jusqu’à ce jour définitif que n’ont pu voir se lever tous ceux qui l’avaient préparé. Les événemens contemporains laissent du moins cette généreuse et salutaire impression qu’un peuple obstiné dans son droit et résolu à vivre ne meurt pas, même sous la toute-puissance des ligues et des combinaisons ennemies.

Je ne sais si je me trompe, une des pensées les plus touchantes et en même temps les plus sérieusement politiques de cette Italie renouvelée, c’est, il me semble, de ne point oublier ceux qui l’ont honorée et servie sous une forme ou sous l’autre, de reconnaître les siens, si l’on me passe le mot. Elle a reconnu et adopté comme une renommée nationale ce sombre et émouvant génie, le pauvre Leopardi, en lui élevant un petit monument dans son lieu natal, à Recanati, le jour où le drapeau italien allait flotter dans les Marches. Elle a reconnu aussi, elle a tenu à reconnaître comme un des siens, ce publiciste, cet économiste, ce politique, dont la destinée avait été bien autrement agitée, qui avait épuisé toutes les vicissitudes, — insurgé et émigré des États-Romains en 1815, professeur et député en Suisse, pair de France et ambassadeur de la monarchie de 1830, et qui, avec une intelligence à la hauteur de toutes les conceptions, avait gardé toujours profondément marqué le sceau primitif du patriote, — Pellegrino Rossi, celui qui fut pour nous le comte Rossi, le plus français des Italiens et le plus italien des Français. Curieux type de banni supérieur, qui, au lieu de se ronger dans l’exil, se sauvait dans les honneurs partout où le conduisait sa fortune, servant encore son pays dans les patries nouvelles qu’il se faisait, assez habile pour revenir un jour en représentant d’une des premières puissances du monde auprès de ceux qui l’avaient proscrit, et assez heureux pour dévouer ses derniers momens, comme il avait dévoué sa jeunesse, à une pensée invariable d’indépendance nationale et de rénovation civile ; type plus curieux encore d’homme à la fois enthousiaste et froid, audacieux et sensé, passionné et ironiquement dédaigneux, tenant par sa nature de la vigoureuse et souple race des politiques italiens, et le plus vraiment homme d’état de la péninsule avant que le comte de Cavour n’eût repris dans ses mains hardies tous les fils brouillés d’une révolution interrompue.

Un monument est élevé aujourd’hui à l’université de Bologne pour honorer Rossi ; on a mieux fait : une somme, modique il est vrai, mais proportionnée aux difficultés du moment, est inscrite dans le budget italien pour publier tout ce qu’il a écrit, ses œuvres comme