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dans les tendances de son esprit, dans le libre et hardi mouvement de ses opinions. Ce qu’il eût pensé en présence d’une lutte nouvelle de l’Italie contre l’ordre de 1815, d’une victoire de l’esprit de nationalité, il l’écrivait en 1848. « Le congrès de Vienne, disait-il, ne voulut tenir aucun compte du saint et immortel principe de la nationalité ; il méconnut, méprisa tout, foula tout aux pieds : l’histoire, la géographie, la langue, les mœurs, les usages, les traditions ; il ordonna aux Italiens d’être des Autrichiens, aux Belges de se confondre avec des Hollandais… Et ces sages croyaient faire une œuvre solide et durable ! Ils ne prenaient pas la peine de songer que les peuples offensés seraient toujours provoqués aux nouveautés. Et les hommes d’état ont donc aussi leurs chimères et leurs romans ! » Celui qui pensait ainsi n’eût point hésité sans doute, le moment venu, à sceller l’alliance de la France et de l’Italie, et il eût cru servir encore ses deux patries, sa patrie d’adoption aussi bien que son ancienne patrie.

Ce problème du pouvoir temporel de la papauté, qui est venu de nouveau s’imposer, n’était pas fait pour le surprendre ; il l’avait sondé plus d’une fois. Avant de le retrouver dans des crises toutes contemporaines, il l’avait vu dans l’histoire, et en parlant un jour des tentatives de Napoléon il l’avait abordé avec une netteté vive et tranchante. « On pouvait, disait-il, s’en tenir au concordat, et s’en remettre pour le reste à l’action lente, mais certaine, du temps et de l’exemple. Entourée de gouvernemens nouveaux, de nouvelles institutions, de peuples imbus de nouvelles doctrines sociales et politiques, réduite à l’impossibilité d’empêcher l’entrée de ces doctrines dans ses états, que pouvait Rome ? Le pouvoir temporel serait un jour tombé de ses faibles mains, sans effort, sans combat, comme cela est arrivé hier, comme cela arrivera demain, si demain l’étranger lui retire son appui… Livrée à elle-même, à ses propres forces, aux chances des choses humaines comme royauté, honorée, respectée, vénérée comme suprême pontificat, Rome aurait enfin compris que si la religion, le catholicisme, la papauté sont choses saintes, indestructibles, les conquêtes progressives de l’humanité ne le sont pas moins… L’autre parti possible peut-être, mais plus dangereux, était de proclamer hautement comme principe la destruction du pouvoir temporel du pape, d’en retracer les inconvéniens et les abus, d’en appeler à l’opinion des peuples, de leur faire sentir que les ennemis de leur émancipation n’étaient point les vicaires du Christ, mais les princes temporels de Rome, que c’était comme principauté que Rome avait déserté la cause de la liberté pour celle du privilège, celle de l’intelligence pour le pouvoir, et mis au service de toutes les oligarchies l’inquisition et l’index. Dans ce système, il