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d’empêcher l’esprit public de déduire des principes posés dans la constitution les conséquences nécessaires qui en découlent. Est-il sage de laisser voir cette mauvaise humeur contre la presse lorsque le procès du maire de Collonges nous apporte de si tristes révélations sur les mœurs administratives, qui réclament si impérieusement le contrôle d’une presse vigilante et libre ? Cette attitude envers la presse n’est guère conforme à la situation que l’entrée de M. Fould au pouvoir devait naturellement inaugurer, et ne semble pas faite pour seconder le succès des nouvelles mesures financières. Par une coïncidence bizarre, la presse « indépendante et dévouée » n’a jamais présenté un spectacle plus pitoyable de mesquine et ridicule anarchie. Les journaux de cette couleur ne semblent vouloir user de leur indépendance que pour se contester mutuellement l’habileté ou l’utilité de leur dévouement. L’un ne s’est pas fait faute, par ses intempérances bouffonnes, de couvrir de ses ridicules, comme d’une éclaboussure, les projets qu’il prêtait à M. Fould. Un autre s’est évertué à démontrer l’impossibilité d’obtenir des économies importantes sur le budget de l’armée. Un troisième n’a pas craint de donner à entendre que les dieux eux-mêmes ne demeuraient point étrangers aux plaisantes luttes intestines où ces journaux se consument, et il a poussé l’indiscrétion jusqu’à les désigner sous le nuage d’initiales transparentes.

L’unité dans la politique du gouvernement et l’harmonie des organes par lesquels cette politique s’adresse au public nous paraissent être des conditions nécessaires à la réussite d’une œuvre telle que celle à laquelle M. Fould a mis la main. Toutes les branches de la politique du gouvernement devraient en ce moment se rallier autour des finances, et l’on verrait que les intérêts les mieux entendus de chaque département ministériel s’accorderaient avec les directions que l’intérêt des finances doit leur conseiller ou leur imprimer. Notre politique étrangère fournit en ce moment un exemple de cette vérité. Ce sont surtout les petites expéditions plus ou moins chevaleresques que nous éparpillons à travers le monde qui ont été dans ces derniers temps la plaie de nos finances. Parmi ces expéditions, une de celles qu’un ministre économe du trésor retrancherait le plus volontiers des articles de sa dépense serait à coup sûr l’entretien de notre occupation à Rome. Cet article représente au moins une vingtaine de millions, bonne réduction qui ôterait au ministre des finances le souci d’inventer et d’appliquer un nouvel impôt. C’est, dira-t-on, montrer une bien grande vulgarité d’esprit que de mettre la question romaine en balance avec une vingtaine de millions. Hélas ! quelque profitable que nous parût devoir être pour le pays une économie de cette importance, ce n’est pas avec une somme d’écus, c’est avec la conscience et l’honneur de notre pays que nous mettons la question romaine en balance. La logique et la prudence prescrivent à la France d’en finir avec une politique dont les temporisations n’ont pas d’issue. Certes nous eussions compris que la France se fût