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abondamment reproduits à Maurice depuis que les Portugais en lâchèrent quelque paires dans l’île lors de sa découverte, ne sauront bientôt plus vers quel abri se réfugier. La canne envahit tout : elle s’avance jusque sur le littoral, elle monte jusque vers le sommet des montagnes. Partout où un peu de terre s’offre au planteur, on enfonce un pied de canne, et, le guano aidant, le roseau vient et produit à merveille. Il donne aussi des bénéfices toujours assurés et une récolte qui ne se fait pas attendre. Pour la canne, on a renoncé à tout, non-seulement aux autres plantes industrielles, ainsi qu’au café, aux arbres à épices, mais on a négligé encore l’élève du bétail et la culture du riz. Les bœufs, et même toute viande de boucherie que l’on consomme, sont tirés de Madagascar ; le riz vient aussi de cette île, mais surtout de l’Inde. Il forme la base de l’alimentation des classes riches et des classes pauvres, de telle sorte que si tous les arrivages venaient un jour à manquer dans la saison des ouragans, ou, s’il plaisait à la vieille reine de Madagascar[1] d’éloigner encore une fois les traitans, l’île Maurice serait menacée de la famine. Bourbon court le même danger ; mais nul ne s’en préoccupe dans ces deux colonies. On ferme volontiers les yeux, pourvu que les cannes soient belles et promettent une ample récolte.

La canne met d’ordinaire dix-huit mois à pousser et se reproduit par boutures. Elle parvient à son entière maturité vers le mois de juillet. Certaines variétés se couvrent alors d’une aigrette violette, ce qui donne aux champs de la colonie un aspect tout particulier. On distingue parmi les espèces cultivées à Maurice la canne jaune, la canne rouge ou de Taïti, la canne bambou, la canne blanche de Batavia ou canne Diard, du nom de celui qui l’importa, enfin la canne de Chine ou plutôt de Pinang. Toutes sont plus ou moins attaquées par le borer, un ver qui s’introduit dans le tissu cellulaire et mange le sucre, La canne, en proie à cette maladie, dépérit promptement, les feuilles jaunissent, et on ne sait encore lutter contre ce mal qu’en recherchant les vers, les enlevant et les donnant à manger aux poules. Certains planteurs pensent avec raison que l’excès de production demandé au sol à force de guano, sans faire alterner les cultures, est peut-être une des causes de l’apparition du borer. Aussi les planteurs intelligens laissent-ils maintenant reposer leurs terrains après une ou deux coupes. Le meilleur des assolemens est l’ambrevade, un pois arborescent dont le fruit se mange ou se donne aux animaux, et dont les feuilles et la tige restent ensuite sur le

  1. Ranavalo, la reine de Madagascar, était morte au moment où nous écrivions ces lignes ; mais il n’est point dit que son fils et successeur Rakout ne suive pas la politique ombrageuse de sa mère. Il vient déjà de faire assassiner son cousin et compétiteur Ramgousalam.