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marée. Les digues ont resserré les eaux dans un canal où leur mouvement acquiert une grande vivacité, et l’on engraisse des bœufs sur les emplacemens des anciennes pêcheries : le poisson ne s’est point plié à ce nouveau régime ; il est même devenu rare dans les parties de la rivière sur lesquelles ne s’est point étendu l’endiguement. La raison en est simple : les espaces colmatés étaient ceux où se formaient les frayères, et leurs essaims ne repeuplent plus le haut de la rivière. Le Rhône et le Rhin sont, sur une grande partie de leur cours, encaissés comme l’est aujourd’hui la Basse-Seine. Le poisson y quitte le lit principal pour frayer, et dépose ses œufs, dans les affluens les plus tranquilles. Le petit nombre des affluens de la Seine maritime est encombré d’usines, et il faut ouvrir ailleurs des ateliers de reproduction. La réunion dans le canal ébauché de Tancarville de la masse des eaux qui, dans leur état de diffusion actuelle, sont inutiles à la navigation et nuisibles à la salubrité locale, la transformation du Marais-Vernier en une petite Hollande dont les canaux, ramifiés autour du bassin de Quillebeuf, lieraient à la Seine le lac intérieur appelé la Grande-Mare, rendraient au poisson une partie des abris qu’il a perdus, d’autres canaux d’assainissement des terres humides ou d’exploitation des tourbières de la vallée ajouteraient à ces ressources, et cet ensemble de travaux réclamés dans des intérêts beaucoup plus élevés concourrait efficacement au repeuplement de la rivière.

Les pêcheurs disséminés entre Poses et Quillebeuf, et j’en ai rencontré de remarquablement intelligens, sont unanimes à affirmer que tous les poissons qui fréquentent ces eaux, même les carpes, habitent alternativement les eaux douces et les eaux salées, et que leurs migrations sont principalement déterminées par les exigences du frai. Pour remonter la rivière, les poissons se rangent par espèces, à la manière des oiseaux voyageurs, en longues et étroites files ; le secret du bonheur de la pêche consiste ainsi à savoir placer les filets sur la ligne suivie par l’éperlan, l’alose et même le saumon ; mais ces caravanes aquatiques se heurtent depuis 1857 contre le barrage de Poses, et, ne pouvant plus chercher des frayères plus haut, elles tourbillonnent quelque temps au pied de l’obstacle jeté sur leur route, puis se dispersent, dépérissent ou du moins ne reviennent plus. C’est ce qui est arrivé dès 1858, année où l’affluence des saumons fut telle que le prix en était tombé à 70 centimes la livre. Quand les individus ainsi rebutés s’exposeraient plusieurs fois à de semblables mésaventures, ce que ne croient pas les pêcheurs, les empêchemens mis à la reproduction arrêteraient le peuplement de la rivière. Les moyens de remédier à ce mal, depuis longtemps recommandés par M. Coste, sont décrits, dans la nouvelle édition de